Depuis plusieurs semaines, Madagascar est le théâtre d’un mouvement social sans précédent, initié et porté par la génération dite « Gen Z ». Ce mouvement, né de la frustration face aux coupures récurrentes d’eau et d’électricité, s’est rapidement transformé en une contestation plus large contre la gouvernance actuelle et les responsables politiques en place, y compris le président Andry Rajoelina.
En effet, contrairement aux mouvements traditionnels en Afrique, la Gen Z Madagascar ne repose pas sur une figure unique. Elle fonctionne avec un collectif de trente(30) porte-paroles, ce qui lui a permis d’éviter les divisions qui menaçaient de fragmenter les manifestations lorsque des groupes pro et anti-Rajoelina ont émergé. Très tôt, un coordinateur a été désigné pour assurer l’unité et la cohésion du mouvement, illustrant la maturité sociale de cette jeunesse dont l’âge de 13 à 27 ans; mais connectée et informée de ce qui se passe à travers le monde.
Sa stratégie combine habilement communication numérique et mobilisation sur le terrain. Les réseaux sociaux ont servi de plateforme pour diffuser instantanément des messages, organiser des rassemblements et informer la population des actions à venir, tandis que la mobilisation physique dans les rues d’Antananarivo a démontré leur capacité à transformer la parole virtuelle en action concrète. La Gen Z a ainsi réussi à captiver l’attention nationale et internationale, inspirant une jeunesse africaine avide de changements et de participation civique.
La chronologie de son combat est révélatrice de leur discipline et de leur résilience. Le 25 septembre, le mouvement Gen Z a lancé les premières manifestations pour dénoncer les coupures de services publics. Rapidement, ces rassemblements se sont intensifiés et ont pris une dimension politique, rassemblant des milliers de jeunes sur la place historique du 13 Mai. Le 11 octobre, certains soldats malgaches ont rejoint les manifestants, appelant les forces de sécurité à ne pas réprimer la population, après un bilan de 22 morts et de plusieurs blessés.
Cette action a marqué un tournant dans la dynamique du mouvement, illustrant la capacité de la Gen Z à créer des alliances stratégiques sans perdre son autonomie, ni son unité et en déclinant toute alliance et récupération politique. Face à cette stratégie rarissime et la position de faiblesse du pouvoir aujourd’hui qui crie à une tentative de renversement, plusieurs scénarios peuvent se dessiner.
Le premier scénario envisage un apaisement progressif avec le gouvernement, conduisant à des négociations et des réformes concrètes pour répondre aux revendications sociales et économiques de la jeunesse. Le second scénario pourrait voir une escalade des tensions si le dialogue échoue, entraînant une pression continue sur le pouvoir en place et un risque accru de confrontations. Enfin, un troisième scénario, plus optimiste, pourrait transformer ce mouvement en force structurante de la vie politique malgache, favorisant l’émergence de nouvelles pratiques démocratiques et d’une participation citoyenne renforcée, avec la jeunesse comme acteur central du renouveau national. Mais il y’a des pièges sur chaque scénario.
Ce qui distingue la Gen Z des mouvements précédents, c’est son refus de la division et sa capacité à maintenir une coordination efficace malgré la diversité des opinions et des origines de ses membres. Son action illustre une jeunesse consciente de son rôle historique, déterminée à influencer le futur du pays avec responsabilité et pragmatisme. Par leur exemple, ces jeunes démontrent qu’une mobilisation structurée, stratégique et pacifique peut produire un impact durable, non seulement sur la scène nationale, mais aussi comme modèle pour l’ensemble du continent africain.
La Gen Z à Madagascar est bien plus qu’un mouvement de protestation. Elle est l’incarnation d’une jeunesse qui refuse la fatalité, les faveurs du pouvoir en choisissant l’unité à écrire l’histoire de son pays, en déclinant également les schémas traditionnels de division et en ouvrant la voie à un renouveau politique et social d’envergure. Ce n’est pas une génération qui qui parle de sexe et d’amour sur les réseaux sociaux comme cela se passe ailleurs. Au Népal, au Pérou, en Indonésie ou encore au Maroc, cette jeunesse de Gen Z est entrain de montrer qu’un engagement stratégique et pacifique peut influencer l’avenir politique et social d’un pays.
N’Faly Guilavogui, Journaliste Éditorialiste politique, Analyste politique, DIC- Mastérant en Com Pol et Publique à ISIC, Enseignant à UMIG.
