À Conakry, la récente déclaration de Cellou Dalein Diallo affirmant qu’il s’entretient régulièrement avec son ancien adversaire Alpha Condé, qu’il décrit désormais comme “un frère”, a provoqué une onde de choc sur la scène politique. Une sortie jugée “inopportune et brutale” par Ousmane Gaoual Diallo, actuel ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique, qui n’a pas manqué de fustiger la démarche de son ancien leader au sein de l’UFDG, lors d’un déjeuner de presse.
Ancien porte-parole du principal parti d’opposition, Ousmane Gaoual estime que cette révélation “ravive la douleur des familles endeuillées par les années de confrontation politique”.
“Ce discours a surpris beaucoup de Guinéens, mais pas nous. Nous savions qu’il entretenait un contact avec Alpha Condé. Ce qui choque, c’est la brutalité de l’annonce. Comment peut-on parler si gentiment avec quelqu’un après tant de morts, de blessures, et de sacrifices ? Si vous pouviez vous parler, pourquoi avoir maintenu ce pays en crise pendant onze ans ?”, a réagi le ministre avec amertume.
Un rappel des blessures du passé
Pour Ousmane Gaoual, cette proximité tardive entre les deux anciens rivaux ressemble à un renversement de logique morale et politique, voire à une trahison du combat mené par des milliers de militants de l’UFDG. Il rappelle d’ailleurs un précédent identique :“Avec Dadis, c’était la même chose. Quand il était au pouvoir, aucun dialogue. Mais dès qu’il a été exilé à Ouaga, on est allés le voir pour une alliance politique en 2015, sous prétexte qu’il était ‘mon frère de la forêt’. Aujourd’hui, on rejoue le même scénario. C’est cette brutalité que les gens n’acceptent pas.”
Pour lui, ces rapprochements sélectifs et tardifs participent à une forme de cynisme politique, où la fraternité est invoquée selon les circonstances du moment : “Finalement, à quoi tout cela a servi ? Si le dialogue était possible, pourquoi ne pas s’asseoir dès le début pour parler du pays ? C’est ce qui est dommage”, a-t-il martelé.
“C’est comme si Roosevelt disait qu’il parlait à Hitler”
Dans un ton plus cinglant, Ousmane Gaoual a utilisé une analogie historique forte pour illustrer le choc ressenti par l’opinion : “Les gens ont souffert de ce conflit. C’est comme si Roosevelt se réveillait un matin pour dire : ‘Hitler était mon pote, on se parlait tous les jours’. C’est brutal. Et c’est ainsi que les victimes le perçoivent.”
Selon lui, cette révélation ne fait que renforcer la défiance des militants vis-à-vis de leurs dirigeants, en raison d’un double discours devenu récurrent dans la classe politique guinéenne. Il dénonce également la culture de l’animosité entretenue au sein des partis politiques : “On a dressé nos militants à croire que celui qui n’est pas de ton parti est ton ennemi. On leur a appris à ne pas aller aux baptêmes ou aux funérailles de leurs adversaires. À force, ils grandissent dans cette idée qu’il n’y a aucun espace pour le dialogue, aucune zone grise.”
“On m’a traité de traître parce que je prônais le dialogue”
Ousmane Gaoual rappelle qu’il a lui-même été victime de cette mentalité lorsqu’il avait proposé, alors qu’il était en détention à la Maison centrale de Conakry, un dialogue entre l’UFDG et le RPG pour sortir le pays de la crise : “Quand j’ai dit qu’il fallait dialoguer pour apaiser ce pays et partager le pouvoir, on m’a traité de vendu. Pourtant, je continue de croire que le dialogue est le seul chemin possible.”
Le ministre, aujourd’hui porte-parole du Gouvernement, a tenu à replacer ce débat dans un cadre plus large : “Les contradictions politiques ne doivent pas devenir de la haine. Même les ennemis historiques comme Israël et la Palestine dialoguent, parfois par personnes interposées. Ils cherchent des solutions malgré la guerre. Pourquoi pas nous ?”
Une scène politique guinéenne toujours polarisée
Cette nouvelle polémique intervient dans un contexte où la classe politique guinéenne peine à se réinventer après plusieurs transitions et crises successives.
Alors que le pays se prépare à une nouvelle étape du processus constitutionnel sous le CNRD, cette querelle entre anciens alliés met en lumière les fractures morales et stratégiques qui continuent de miner la confiance entre les acteurs politiques.
Pour de nombreux observateurs, la sortie d’Ousmane Gaoual n’est pas seulement une critique d’un homme, mais un avertissement à toute une génération politique : celle qui, selon lui, “n’a pas su transformer le combat en projet collectif”.
Kadija Ouldada Diallo pour Investigatorguinee

