La déclaration publiée par Donald Trump sur sa page Facebook à l’issue de la rencontre de ce lundi constitue un document révélateur de sa manière singulière d’envisager la diplomatie et la communication politique. Derrière des mots simples et des phrases volontairement accessibles au grand public, se dessine une stratégie réfléchie visant à projeter une image de leadership incontesté, à s’imposer comme médiateur central dans le conflit russo-ukrainien et à inscrire son nom dans le récit d’une paix historique.
Dès les premières lignes, Donald Trump installe un cadre de grandeur et de centralité. Il écrit : « J’ai eu une très bonne rencontre avec des invités distingués… » L’usage de l’adjectif « distingués » n’est pas anodin. Il traduit certes une reconnaissance protocolaire à l’égard des chefs d’État et de gouvernement présents, mais fonctionne surtout comme une mise en scène de sa propre position. C’est lui qui reçoit, à la Maison-Blanche, ces personnalités prestigieuses, ce qui le place d’emblée en figure d’autorité autour de laquelle gravite la diplomatie mondiale. En citant minutieusement ses interlocuteurs – Zelensky, Macron, Stubb, Meloni, Starmer, Merz, von der Leyen et Rutte – Trump dresse une liste qui ressemble davantage à un casting international qu’à un simple compte rendu. Ce procédé rhétorique typique de son style met en relief son rôle de chef d’orchestre de la scène mondiale.
Il précise ensuite : « Au cours de la réunion, nous avons discuté des garanties de sécurité pour l’Ukraine, lesquelles seraient fournies par les différents pays européens, en coordination avec les États-Unis d’Amérique. » L’expression « en coordination avec les États-Unis » révèle la hiérarchie implicite qu’il installe : les Européens sont appelés à assumer des responsabilités militaires et financières, mais sous la supervision de Washington. Ainsi, malgré la pluralité des acteurs, la clé demeure entre les mains américaines. Puis vient une phrase frappante : « Tout le monde est très heureux de la possibilité de PAIX pour la Russie/Ukraine. » L’usage des majuscules pour le mot « PAIX » n’est pas seulement une habitude stylistique de Trump, il s’agit d’un geste rhétorique qui vise à donner du poids et de l’éclat au message, tout en projetant l’idée qu’il est l’homme capable d’ouvrir une brèche dans un conflit meurtrier qui dure depuis plus de quatre ans.
L’annonce qui donne à cette déclaration sa portée mondiale est l’appel direct à Vladimir Poutine : « À la fin des réunions, j’ai appelé le président Poutine et j’ai commencé les arrangements d’une réunion, dans un lieu à déterminer, entre le président Poutine et le président Zelenskyy. » En révélant ce geste, Trump affirme avoir pris l’initiative personnelle d’engager Poutine, ce qui illustre à la fois sa volonté de montrer qu’il peut réorienter seul le cours des événements et sa conception très personnelle de la diplomatie, où un simple coup de fil peut suffire à redessiner la carte des rapports de force. Ce coup de théâtre déplace le centre de gravité du conflit. La clé de la négociation n’est plus à Bruxelles, ni à Kiev, ni à l’ONU, mais désormais dans un triangle Washington–Moscou–Kiev, avec Donald Trump comme médiateur pivot.
C’est dans ce contexte qu’il forge le terme « Trilat » : « Après cette réunion, nous aurons un Trilat, qui serait les deux présidents, plus moi-même. » Ce néologisme, simplificateur et percutant, traduit parfaitement son style. En réduisant la diplomatie internationale à une rencontre à trois, Trump marginalise les grandes institutions comme l’OTAN, l’ONU ou l’Union européenne et s’attribue le monopole de la médiation. Sa stratégie est claire : faire en sorte que la paix éventuelle ne passe pas par un processus multilatéral long et contraignant, mais par une rencontre historique dont il serait l’arbitre et la figure centrale.
Il n’oublie pas pour autant de mettre en avant son équipe et ses relais politiques internes. En déclarant : « Le vice-président JD Vance, le secrétaire d’État Marco Rubio, et l’envoyé spécial Steve Witkoff, coordonnent avec la Russie et l’Ukraine », Trump inscrit la démarche dans une logique de continuité institutionnelle. Ce passage n’est pas uniquement informatif : il s’agit de donner de la légitimité internationale à ses collaborateurs et de montrer à son électorat que l’administration républicaine est déjà au travail, proactive et organisée. Il s’agit aussi d’un signal politique adressé à l’intérieur des États-Unis, où Trump cherche à renforcer l’idée que son camp agit de manière concrète et rapide pour restaurer la paix mondiale.
Dans son ensemble, la déclaration de Trump est bien plus qu’un simple compte rendu. Elle est un acte de communication politique majeur qui illustre la façon dont l’ancien président s’efforce de réactiver sa stature internationale. Ses formulations simples, ses répétitions, ses majuscules, ses énumérations et même l’invention de nouveaux termes sont autant d’outils qui traduisent une gestuelle verbale destinée à marquer les esprits. En plaçant la paix au centre du discours, il atténue la gravité d’un conflit sanglant et transforme une question complexe en un récit optimiste et accessible à tous.
Cependant, derrière l’éclat de cette mise en scène, plusieurs interrogations demeurent. L’initiative personnelle de Trump sera-t-elle suivie d’effet concret ? Vladimir Poutine acceptera-t-il de se prêter à cette scénographie qui l’obligerait à apparaître aux côtés de Zelensky, sous le regard d’un médiateur américain ? Le président ukrainien, de son côté, pourra-t-il défendre ses positions sans paraître prisonnier d’une diplomatie imposée ? Enfin, cette démarche traduit-elle une volonté réelle de bâtir une paix durable ou n’est-elle qu’une recherche de coup d’éclat destinée à renforcer l’image de Trump comme homme providentiel ?
Il faut dire que cette déclaration dépasse le cadre d’une simple communication officielle. Elle marque une tentative spectaculaire de repositionner Donald Trump comme acteur incontournable de la paix mondiale. Par ce récit soigneusement construit, il cherche à démontrer que son retour au pouvoir ne se limite pas à la politique intérieure américaine, mais qu’il s’accompagne d’une capacité à peser immédiatement sur l’ordre international. À travers ce texte, Trump ne livre pas seulement sa vision d’un règlement de la guerre en Ukraine, il propose au monde un récit où il occupe la place centrale, celle de l’arbitre, du médiateur et du chef d’orchestre.
Par N’Faly Guilavogui Journaliste éditorialiste politique, Analyste politique, Mastérant en Communication Politique et publique.
