En Guinée, comme partout ailleurs dans le monde, le journalisme est censé être un métier noble, un rempart contre les dérives du pouvoir, un pont entre les gouvernés et les gouvernants. Il devrait incarner la vérité, la rigueur, l’objectivité et le respect du public. Mais dans notre pays, force est de constater que cette profession est trop souvent bafouée, déformée, voire trahie… par certains de ses propres acteurs.
Le journalisme guinéen traverse une crise profonde : crise de confiance, crise d’éthique, crise de déontologie. À l’heure où l’information devient une arme de masse, certains journalistes ont fait le choix dangereux de sacrifier leur mission première sur l’autel de la facilité, de l’appât du gain ou de la proximité avec les puissants. Ainsi, la parole journalistique, qui devrait éclairer, questionner, dénoncer, se voit détournée pour servir des intérêts partisans ou personnels.
Un métier en quête de repères
Le paysage médiatique guinéen s’est considérablement élargi ces dernières années. Radios communautaires, chaînes de télévision privées, sites d’information en ligne, plateformes sociales : jamais les canaux de diffusion n’ont été aussi nombreux. Mais cette prolifération ne s’est pas accompagnée d’un renforcement de la qualité, bien au contraire. Trop souvent, l’information relayée est approximative, non vérifiée, sensationnaliste ou même manipulée.
Ce constat alarmant ne vise pas à jeter l’opprobre sur l’ensemble de la profession. Il existe, fort heureusement, des journalistes compétents, rigoureux, engagés pour une presse libre et responsable. Mais leur travail est souvent noyé dans le vacarme d’un journalisme de complaisance ou de confrontation systématique. Le problème est donc structurel, systémique.
Le manque de formation continue, la précarité des conditions de travail, l’absence de protection sociale, et les pressions politiques ou économiques rendent la pratique du journalisme en Guinée particulièrement vulnérable. Il devient alors difficile, voire périlleux, de rester intègre quand tout pousse à la compromission.
Rebâtir le journalisme : une responsabilité partagée
Face à cette crise multiple, le sursaut doit venir de partout : des journalistes eux-mêmes, des organes de presse, des institutions de régulation, de l’État et du public. Le journalisme guinéen ne pourra se réinventer qu’à travers une exigence collective de rigueur, de transparence et de professionnalisme.
D’abord, il faut remettre la formation au cœur du métier. Trop de journalistes exercent sans base solide, sans culture de l’enquête, sans maîtrise des principes éthiques fondamentaux. Des écoles de journalisme sérieuses, des formations continues indépendantes et accessibles, des ateliers pratiques doivent être mis en place, dans une logique de montée en compétence permanente.
Ensuite, les conditions de travail doivent être améliorées. Comment demander à un journaliste d’être incorruptible, rigoureux et indépendant quand il vit dans l’insécurité financière permanente ? La précarité tue l’éthique. Il est urgent que les employeurs médiatiques revoient leur politique salariale et que des mécanismes de soutien aux médias responsables soient instaurés.
Le rôle des institutions de régulation est également crucial. En Guinée, ces structures existent mais peinent souvent à agir de manière impartiale et efficace. La Haute Autorité de la Communication (HAC), notamment, doit sortir de la passivité et faire respecter les règles déontologiques, sans faiblesse ni favoritisme.
Enfin, le public lui-même a un rôle à jouer. Car un peuple mal informé est un peuple manipulable. Les citoyens doivent exiger des comptes, boycotter les médias qui diffusent des fausses nouvelles, encourager les initiatives de journalisme de qualité, soutenir les enquêtes rigoureuses.
Le journalisme est un pilier de toute démocratie vivante. En Guinée, il ne peut plus se contenter de survivre dans le compromis ou l’à-peu-près. Il doit redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : une boussole pour la société, une lumière dans l’obscurité, une force tranquille face aux abus.
Cela exige du courage. Le courage de dire non à la facilité. Le courage de refuser la manipulation. Le courage de se remettre en question. Le courage, surtout, de toujours choisir la vérité – même quand elle dérange.
Car au fond, c’est de cela qu’il s’agit : à quoi sert le métier de journalisme en Guinée, sinon à éclairer les consciences, à élever les débats, à défendre l’intérêt général ?
À chacun de nous, journalistes ou non, de répondre à cette question avec lucidité et engagement.
Eugène Capi Balamou
Journaliste et citoyen concerné
