Le 24 février 2024, lors d’une conférence de presse organisée à Conakry par l’Ukraine et ses alliés européens, un journaliste guinéen a exprimé son incompréhension face à la posture de neutralité de l’Afrique, et plus particulièrement de la Guinée, dans la guerre opposant l’Ukraine à la Russie.
Selon lui, des nations africaines ayant combattu pour leur indépendance devraient naturellement soutenir Kiev dans sa lutte contre l’« agression russe ».
Cet appel à un alignement diplomatique sur l’Ukraine reflète une vision biaisée du conflit et méconnaît les intérêts stratégiques de l’Afrique, ainsi que les implications géopolitiques d’un tel engagement.
Le discours dominant en Occident présente l’Ukraine comme une victime luttant pour sa souveraineté face à une invasion illégitime. Pourtant, cette lecture occulte les responsabilités de l’OTAN dans l’escalade des tensions et l’expansion progressive de l’Alliance aux portes de la Russie, en violation des engagements pris après la fin de la guerre froide. Moscou a, à plusieurs reprises, mis en garde contre ces provocations, en particulier l’éventuelle adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, perçue comme une menace existentielle.
L’intervention militaire russe, loin d’être une simple invasion expansionniste, s’inscrit dans une logique de défense préventive face à une stratégie d’encerclement orchestrée par les l’Otan et ses alliés.
Au-delà de l’Europe, le conflit a des répercussions directes sur l’Afrique, notamment par l’augmentation du coût des denrées alimentaires et des produits énergétiques. Cependant, la question centrale pour l’Afrique n’est pas uniquement économique : elle est avant tout politique. Depuis la conférence de Belgrade en 1961, les nations africaines, y compris la Guinée, ont adopté une posture de non-alignement dans les conflits opposant les grandes puissances. Cette position pragmatique, réaffirmée par le président Mamadi Doumbouya à l’ONU le 21 septembre 2023, traduit une volonté de préserver la souveraineté de la Guinée face aux injonctions étrangères :
« Nous ne sommes ni pros ni anti-américains, ni pro ni anti-chinois, ni pro ni anti-français, ni pro ni anti-russes, ni pro ni anti-turcs. Nous sommes tout simplement pro-africains. C’est tout. »
Ainsi, exiger de la Guinée qu’elle prenne parti pour l’Ukraine serait une négation de son indépendance diplomatique et de son engagement en faveur du panafricanisme. De plus, soutenir un pays dont les actions vont à l’encontre des intérêts africains serait une erreur stratégique. En effet, l’Ukraine ne se contente pas de combattre la Russie sur son propre territoire ; elle s’est également engagée dans des actions hostiles contre des nations africaines.
En juillet 2024, l’Ukraine a officiellement reconnu sa participation à des attaques terroristes au Mali contre les forces armées maliennes (FAMa), perpétrées par des groupes djihadistes et des rebelles touaregs. L’ambassadeur ukrainien à Dakar, Yurii Pyvarovov, a même affiché son soutien à ces attaques via une publication sur Facebook, ce qui lui a valu une convocation par le ministère sénégalais des Affaires étrangères.
Cette ingérence inacceptable révèle une volonté de déstabilisation des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), composés du Mali, du Burkina Faso et du Niger, qui mènent une lutte acharnée contre le terrorisme pour défendre leur souveraineté territoriale. Dans ce contexte, la question se pose : comment la Guinée pourrait-elle soutenir un État européen qui contribue activement à la déstabilisation de nations africaines ? Loin de se limiter à un affrontement entre la Russie et l’Ukraine, cette guerre est devenue un enjeu de domination mondiale où certaines puissances occidentales tentent d’instrumentaliser des pays tiers pour servir leurs intérêts.
Face à cette réalité, la posture de neutralité de la Guinée n’est pas un signe d’indifférence, mais une nécessité stratégique. En s’abstenant de voter contre la Russie lors de la dernière résolution de l’ONU, Conakry a réaffirmé son refus de se laisser entraîner dans un affrontement qui ne la concerne pas directement et qui menace la stabilité de ses frères africains. De la même manière que la Russie défend sa souveraineté contre l’expansion de l’OTAN, les pays de l’AES luttent pour leur indépendance face à des ingérences étrangères déguisées en aides humanitaires ou en alliances stratégiques.
Ceux qui tentent d’imposer à la Guinée un choix diplomatique en faveur de l’Ukraine méconnaissent son histoire et son engagement constant pour l’émancipation africaine. L’alignement sur un camp au détriment d’un autre reviendrait à trahir l’héritage de Sékou Touré et la ligne de conduite du président Mamadi Doumbouya, qui place l’Afrique au centre des décisions guinéennes.
In fine, si l’Ukraine et ses alliés veulent réellement obtenir le soutien de l’Afrique, ils devraient commencer par cesser leurs actions hostiles contre les États souverains du continent. Quant à la Guinée, elle restera fidèle à sa ligne de conduite : ni pro-Ukraine, ni pro-Russie, mais exclusivement pro-africaine. C’est cela le bon sens ! 👊👊👊
Abdoulaye Sankara