« Un ministre ne devrait pas dire ça ! » Voilà une déclaration mémorable de Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre français de la Recherche et de l’Industrie, prononcée en 1983. Cette phrase, qui a marqué l’histoire politique française, ne se résume pas seulement à une critique d’un écart entre parole et responsabilité. Elle incarne surtout l’idée qu’une personnalité publique, notamment un membre du gouvernement, doit faire preuve de retenue et de délicatesse dans ses propos, surtout lorsqu’ils s’adressent à un large public, à fortiori à un peuple ou à une population.
Je ne sais pas si les propos publiés hier sur la page officielle Facebook du ministère guinéen de l’Énergie et des Hydrocarbures sont vraiment ceux du ministre lui-même, ou si ce sont les gestionnaires de la page qui, en son nom, ont rédigé ces lignes – cela peut arriver. Toutefois, une chose est certaine : ces propos manquent parfois de tact et flirtent dangereusement avec la condescendance.
Prenez par exemple cette perle trouvée sur ladite page :
« Un État peut subventionner l’énergie, mais il ne peut pas subventionner le bon sens… Éteignons les lumières inutiles en journée et débranchons les appareils superflus. »
Oups, la bourde ! Me suis-je entendu dire ?
Non, un ministre ne devrait pas prononcer de tels propos envers la population à laquelle il est au service, et à laquelle il doit un minimum de respect. Il n’est pas du tout indiqué de dire “qu’un État ne subventionne pas le bon sens”, autrement dit que “l’État ne paie pas la bêtise de la population”. C’est vrai, mais mal formulé. Très !
Voici une proposition de reformulation qui montrerait comment le ministre en charge de l’Énergie, et, à tout le moins, ceux qui rédigent en son nom, devraient s’exprimer :
« Adoptons ensemble des gestes simples pour économiser l’énergie : éteignons les lumières inutiles en journée et débranchons les appareils que nous n’utilisons pas. Ces petits efforts, réalisés par chacun, contribuent à un usage plus responsable et équitable de nos ressources énergétiques, tout en soutenant les efforts de l’État pour garantir un accès durable à l’énergie. »
Pourquoi cette reformulation ?
1. Tonalité inclusive et positive : En utilisant « adoptons ensemble », on invite l’État et les citoyens à participer à une démarche commune, plutôt qu’à imposer un message unilatéral et condescendant.
2. Mise en valeur des gestes citoyens : Les actions demandées sont perçues comme des contributions collectives et responsables, montrant ainsi la valeur des efforts de la population.
3. Absence de jugement : Cette reformulation évite toute remarque qui pourrait être perçue comme une critique directe de la population, privilégiant un discours plus pédagogique et motivant.
4. Lien avec les efforts de l’État : En mentionnant les actions de l’État pour garantir l’accès à l’énergie, cette version rappelle l’idée d’une responsabilité partagée entre gouvernants et gouvernés.
Il n’est d’ailleurs pas anodin que dans les départements ou sociétés étatiques (comme EDG) stratégiques, des cabinets spécialisés en communication soient souvent recrutés. Leur rôle ? Passer des messages sans heurter les susceptibilités des citoyens, qui, comme on le sait, sont particulièrement prompts à manifester lorsqu’ils estiment qu’un service public est mal rendu, et encore plus si ce service est accompagné d’un ton condescendant.
Alors, chers lecteurs, revenez régulièrement sous cette rubrique « Apprendre avant de savoir », qui, comme vous le savez, est entièrement gratuite et se dispense volontiers des honoraires d’un cabinet de communication. À défaut, quelques unités de recharge pour un compteur prépayé seraient fort utiles pour soutenir cette page, dont l’ordinateur fonctionne, lui aussi, grâce à l’électricité. 👊👊👊
Abdoulaye Sankara