L’alternance est un défi de taille sous nos tropiques. Les “Mathusalem” de la politique, comme nous, s’accrochent au pouvoir, refusant de céder la place à une nouvelle génération pourtant plus connectée aux réalités actuelles. Oser aborder ce sujet équivaut à commettre un crime de lèse-majesté. En Guinée, les trois principales formations politiques restent solidement dirigées par leurs fondateurs : Alpha Condé pour le RPG/Arc-en-ciel, Cellou Dalein Diallo pour l’UFDG et Sidya Touré pour l’UFR.
Ici, on semble croire qu’il faut forcément être président du parti pour en devenir le candidat à la présidentielle. Pourtant, un congrès pourrait très bien désigner un autre membre comme candidat, sans que ce dernier soit à la tête du parti. Cette réticence pourrait refléter un manque de confiance au sein de ces formations.
Une initiative audacieuse émerge toutefois à l’UFDG, portée par Mamadou Barry, un acteur politique quelque peu connu mais apparemment influent en tant que secrétaire général adjoint et coordinateur des mouvements de soutien du parti. Mamadou Barry propose de briguer la présidence de l’UFDG tout en laissant Cellou Dalein Diallo devenir président d’honneur et candidat du parti à la prochaine présidentielle. Une idée novatrice, mais qui heurte de plein fouet l’attachement quasi-religieux à l’équation “président du parti = candidat à la présidentielle”. Une telle audace pourrait même lui valoir l’intifada de la “section cailloux” du parti, connue pour défendre férocement l’ordre établi…
Au RPG/Arc-en-ciel, l’alternance n’est pas mieux perçue. En l’absence d’Alpha Condé, exilé depuis le coup d’État du 5 septembre 2021, Ibrahima Kassory Fofana s’est auto-proclamé président lors d’un congrès controversé organisé en catimini. Résultat : une fronde interne, certains militants dénonçant un “deuxième putsch” contre le professeur Alpha Condé après celui des militaires. Pour l’alternance, on verra après, surtout que Kassory Fofana, très malade selon ses médecins, est également détenu pour des accusations de présumés détournements de fonds publics…
Quant à l’UFR, le mystère règne. Son fonctionnement interne, ses orientations politiques et même la question d’alternance semblent tabous, ou du moins inexistants officiellement dans le débat public. Là-bas également on n’en parlera pas de sitôt, le leader du parti s’étant “auto-exilé” dans un pays voisin où, semble-t-il, il occuperait des fonctions de haut niveau…
Le manque d’alternance dans les partis politiques guinéens repose sur deux réalités : d’une part, les jeunes manquent de courage pour défier les anciens et prouver qu’ils peuvent incarner une alternative crédible ; d’autre part, ces jeunes n’ont pas les moyens financiers nécessaires pour rivaliser avec leurs aînés, souvent mieux armés pour acheter loyautés et soutiens.
Ainsi, les “Mathusalem” de la politique guinéenne, campés sur leurs privilèges, semblent avoir encore de beaux jours devant eux. Et avec eux, l’alternance reste un rêve lointain, emportée par le poids des traditions et la résignation des nouvelles générations. 🙄🙄🙄
Abdoulaye Sankara