Le candidat antisystème du parti Pastef, sorti de prison il y a dix jours, devance nettement ses concurrents, selon les premières tendances. Le camp du pouvoir conteste cependant sa victoire dès le premier tour. Un tour de force de Bassirou Diomaye Faye se dessine.
Selon les premières estimations rapportées dimanche soir par la presse sénégalaise, le principal candidat de l’opposition a une longueur d’avance sur tous ses adversaires, et notamment Amadou Ba, le dauphin désigné du président sortant, Macky Sall. De là à remporter l’élection présidentielle dès le premier tour ? Ce serait du jamais vu pour un opposant.
A 44 ans, le candidat du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) incarne un renouveau radical. L’ancien syndicaliste, pourfendeur de la corruption, souverainiste, antisystème, aux accents parfois populistes, porte un projet de rupture, non seulement avec le parti au pouvoir, mais avec la classe politique sénégalaise dans son ensemble.
Dès les premiers résultats affichés dans les bureaux de vote de Dakar -de même pour ceux de la diaspora-, l’écart entre Bassirou Diomaye Faye et ses concurrents est apparu immense. Les résultats égrainés dans la plupart des grands centres urbains le donnent aussi très largement en tête. Or pour la première fois, en 2024, le Sénégal comptera davantage d’habitants des villes que de ruraux.
Même dans certaines régions traditionnellement favorables au pouvoir, le candidat du Pastef semble bien résister. Aucun incident notable n’a été rapporté lors du déroulement du scrutin, conformément à la tradition démocratique bien ancrée dont s’enorgueillissent les Sénégalais.
Dans la capitale, les supporteurs du Pastef n’ont pas la prudence des journalistes : dès 20 heures, Dakar a explosé de joie comme au coup de sifflet d’une finale de Coupe du monde de football. Coups de klaxons ininterrompus, courses endiablées dans les rues, vuvuzelas, chants et même feux d’artifice improvisés ont salué la victoire de «Diomaye». A minuit, sept candidats avaient déjà félicité Bassirou Diomaye Faye pour sa victoire.
Mais son principal adversaire conteste l’idée d’une victoire dès le premier tour. « Au regard des remontées des résultats effectuées par nos équipes expertes, nous sommes certains d’être, dans le pire des cas, dans un couplé de second tour », a indiqué la direction de la campagne d’Amadou Ba dans un communiqué, accusant le Pastef de tentative de « manipulation».
Jusqu’au petit matin, les radios et les télévisions sénégalais ont lu les résultats complets de chacun des 16 000 bureaux de vote du pays et de l’étranger, sans les agglomérer. Les résultats officiels ne devraient pas être connus avant plusieurs jours.
Destin ébouriffant de Bassirou Diomaye Faye. Celui qui deviendrait, en cas de victoire définitive, le cinquième président du Sénégal, dormait il y a encore dix jours en prison. Poursuivi depuis onze mois -mais jamais jugé- pour «outrage à magistrat et diffamation envers un corps constitué», le candidat a été libéré in extremis à la faveur d’une loi d’amnistie votée par le Parlement, en même temps qu’Ousmane Sonko, son mentor.
Le charismatique Sonko, de six ans son aîné, est sans conteste le véritable leader du Pastef, adulé par la jeunesse sénégalaise. Diomaye, lui, était jusqu’en début d’année un homme de l’ombre du parti, un organisateur, intellectuel, mal connu du grand public. Mais en janvier, le Conseil constitutionnel a rejeté la candidature de Sonko, en raison de sa condamnation à deux ans de prison dans une affaire de mœurs. Son bras droit a été choisi comme candidat de substitution du parti.
Le «plan B» a fonctionné au-delà de toute attente. A leur sortie de prison, les deux hommes ont mené une campagne tambour battant à travers le Sénégal, attirant dans leur sillage des foules impressionnantes de jeunes supporteurs. Ils semblent ce soir être aux portes du pouvoir.
Si les tendances se confirment, Bassirou Diomaye Faye s’assoira bientôt sur le fauteuil présidentiel. Quel rôle jouera alors Ousmane Sonko, l’artisan de cette folle victoire ? Il ne s’effacera certainement pas. Le programme du Pastef prévoit une réforme institutionnelle pour créer un poste de vice-président de la République. Un siège qui semble taillé sur mesure pour l’homme à l’origine de cette révolution.
Avec Libération