La crise au sommet de l’exécutif guinéen, née d’une « rivalité » entre le Premier ministre et Alphonse Charles Wright, ministre de la justice, est très mal perçue au sein de la classe politique guinéenne. Un ancien ministre du régime d’Alpha Condé joint ce mercredi 14 février 2024 par notre rédaction, a exprimé son regret face à l’exposition de cette incompréhension entre deux cadres d’une même équipe gouvernementale.
Le « duel » qui voit jour entre Bernard Goumou, chef du gouvernement de la transition et Alphonse Charles Wright, tire son origine des injonctions de poursuites judiciaires que le garde des Sceaux ne cesse de donner au procureur spécial de la Crief d’un côté, et de l’autre, au procureur général, empêchant ainsi des cadres et autres commis de l’Etat, de sortir et exercer ne serait-ce qu’une importante mission du pays.
Interpelé sur ces injonctions par le premier ministre, Charles Wright a répliqué par ces termes: « Sur votre demande de suspendre toutes les procédures engagées, je suis au regret de rappeler que l’action publique ne peut être ni interrompue, ni suspendue ou éteinte par l’instruction du pouvoir exécutif. »
Pour l’ancien ministre du Commerce du gouvernement d’Alpha Condé qui a été joint par un journaliste d’Africaguinee.com ce mercredi 14 février, ces sorties dénotent de l’incompétence du gouvernement en place qui est exposée sur la place publique.
« C’est vraiment regrettable de voir sur la place publique, que le gouvernement ressorte son incompétence au vu et su de tout le monde. Ce qui se passe, vraiment ça n’honore pas le gouvernement, ça n’honore pas le peuple de Guinée. On ne peut pas à ce niveau, au sommet de l’Etat, se comporter comme des apprentis. On vient à ce niveau pour exercer ce qu’on a appris, ce qu’on souhaite faire pour la nation, mais pas pour régler des egos, créer des clans pour se faire voir. Ils doivent tirer des leçons de ce qui s’est passé et revenir à la normale « , a analysé Marc Yombouno, par ailleurs membre du bureau politique du Rpg, ancien parti au pouvoir.
Marc Yombouno, responsable du RPG
L’ancien ministre du Commerce estime que, quoi qu’on dise, il faut de la discipline au sein d’un gouvernement, d’après ses termes. « Il y a un chef du gouvernement, coordonnateur des actions gouvernementales et je crois que le respect de la hiérarchie voudrait dire que, on doit quand-même se référer à lui avant de faire ou de dire quoi que ce soit sur quelque chose qui engage le gouvernement. Un ministre, qui qu’il soit, avec son titre du ministre d’Etat, n’est pas un électron libre du gouvernement. Soit on fait partie du gouvernement ou bien on ne l’est pas. Donc, une fois qu’on fait partie du gouvernement, on ne peut plus se comporter en électron libre. Quelque soient les soutiens, il faut au moins se référer à la hiérarchie. Même si nous, nous ne sommes pas au pouvoir mais c’est l’image de la Guinée qui est ternie encore », déplore M.Yombouno.
Pourtant, poursuit-il, « l’image de la gouvernance donne du crédit à un pays. Mais les gens ne le comprennent pas. Le leadership voudrait dire que l’on respecte les principes, la déontologie… », a conclu l’ex ministre du commerce. La Présidence de la République a été saisie sur le « bras de fer » engagé entre le Premier Ministre et le ministre de la Justice Garde des Sceaux. Sur fond d’échanges épistolaires, Dr Bernard Goumou et Charles Alphonse Wright se livrent une vraie bataille au sommet de l’Exécutif guinéen.
« Agacé » par les agissements du Ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, le Chef du Gouvernement a saisi la Présidence à travers son Secrétaire Général, le Général Amara Camara. Dr Goumou a rappelé que suite aux injonctions du Garde des Sceaux, des Directeurs Généraux d’EPA n’ont pu bénéficier d’ordre de mission pour se rendre à l’étranger à l’effet de participer à des rencontres importantes pour le pays. Le Premier ministre pointe notamment la table ronde des bailleurs de fonds qui se tiendra à Dubaï du 15 au 16 février 2024, au cours de laquelle des grands projets structurants seront examinés. Or, selon le locataire du petit palais de la Colombe, « une telle décision ne peut être prise que par le Conseil des Ministres ». La seule initiative du Ministre de la Justice ne peut suffire au risque d’être traité d’abus d’autorité et conduire à gripper la machine administrative, souligne Bernard Goumou.
Alors que le ministre de la Justice oppose un « niet catégorique » à l’injonction du Premier ministre lui demandant de retoquer la mesure d’« Ouverture d’Enquêtes contre les DAF, les Directeurs Généraux des EPA et les gestionnaires des budgets des Collectivités Décentralisées », les yeux sont désormais tournés vers la Présidence. Le Général Mamadi Doumbouya sera sans doute amené à trancher rapidement entre ces deux poids lourds du Gouvernement.
Charles Wright tient tête à Goumou et met en garde : “l’action publique ne peut être ni interrompue, ni suspendue…”
Une crise s’installe au sommet de l’exécutif guinéen. Au cœur du bras de fer, deux hommes de confiance du Président de la Transition, le Général Mamadi Doumbouya qui sera sans doute amené à trancher. Il s’agit du Premier ministre Dr Bernard Goumou et du ministre d’Etat chargé de la Justice, Charles Wright. Le premier a enjoint le second de suspendre toutes les procédures engagées contre les Directeurs Généraux et Directeurs Généraux adjoints des Établissements publics à caractère administratif (EPA) ainsi que les chefs des DAAF.
Sans tergiverser, Charles Wright oppose un niet catégorique à l’injonction du Premier ministre Bernard Goumou.
“Sur votre demande de suspendre toutes les procédures engagées, je suis au regret de rappeler que l’action publique ne peut être ni interrompue, ni suspendue ou éteinte par l’instruction du pouvoir exécutif”, réplique le Garde des Sceaux dans un courrier réponse en date de ce mardi 13 février 2024.
Charles Wright prévient que toute insistance dans ce sens serait une entrave à la justice.
“Cette entrave est constitutive d’infraction à la loi pénale avant d’être une atteinte grave au principe de séparation des pouvoirs. Le Président de la République garant de la stabilité et de l’équilibre des institutions, ne saurait tolérer une telle violation de la part de quelques autorités que ce soient”, a averti Charles Alphonse Wright.
Dr Goumou interpelle Charles Wrigh
C’est un bras de fer qui est désormais engagé entre deux poids lourds de l’exécutif guinéen. Le Général Mamadi Doumbouya devra certainement arbitrer entre son Premier Ministre et son Garde des Sceaux.
A travers un courrier officiel, le Premier Ministre Bernard Gomou a interpellé le Chef du Département de la justice sur les injonctions de poursuites contre les Directeurs Généraux et Directeurs Généraux adjoints des Établissements publics à caractère administratif (EPA) ainsi que les chefs des DAAF pour des faits présumés de détournements de deniers publics.
« C’est avec une grande surprise que j’apprends sur les médias les injonctions que vous faites aux Procureurs pour l’ouverture d’enquêtes : D’une part, sur la gestion de tous les Chefs de Divisions des Affaires Financières (DAF) de l’Administration Centrale et les Directeurs Généraux des EPA;
D’autre part, sur la gestion financière des Autorités des Collectivités Décentralisées dont principalement les Maires. Par la même occasion, vous avez instruit que toutes ces personnes devront être empêchées de sortir du pays, ce qui restreint leur liberté de circuler », a pointé le Premier ministre dans le courrier consulté par Africaguinee.com.
Le Chef du Gouvernement guinéen dénonce le caractère unilatéral de la décision de Charles Wright qui selon lui devrait être prise en conseil des Ministres qui est l’instance suprême de prise de telles décisions.
« En tant que Premier Ministre, Chef de Gouvernement, je n’ai reçu aucune information préalable de votre part concernant cette opération. Je tiens à rappeler que conformément aux dispositions de la Charte de la Transition, le Premier Ministre dispose de l’Administration et doit veiller au bon fonctionnement de services publics et à la bonne gestion de l’économie nationale et des finances publiques. Pour qu’une décision aussi importante soit mise en œuvre, il est indispensable que le Conseil des Ministres qui est la plus haute instance décisionnaire soit saisi, la seule volonté d’un Ministre ne pouvant suffire dans le cas d’espèce pour éviter les abus d’autorités », souligne Dr Bernard Goumou.
Pour le Premier Ministre guinéen, cette décision qui ne s’appuie sur aucun élément factuel doit être annulée par Charles Alphonse Wright. « Je vous demande de suspendre toutes les procédures engagées dans cette affaire et de soumettre un dossier complet au Conseil des Ministres comportant tous les éléments factuels », lit-on dans le courrier.
Le chef du Gouvernement reproche au garde des sceaux d’avoir engagé une procédure incomplète. En outre, il est à craindre, selon le premier ministre, que l’Etat ne puisse disposer ni des moyens financiers ni de ressources humaines pour mener des enquêtes d’une si grande ampleur.
Dr Bernard Goumou attire aussi l’attention de Charles Alphonse Wright sur le fait que les DAF exécutent les budgets sur ordre des Ministres qui sont les Ordonnateurs desdits budgets. Il en est de même pour les Directeurs Généraux des EPA qui, bien qu’autonomes signent conjointement avec les SAF de leur organisme, mentionne le Premier ministre.Aussi, en toute logique poursuit-il, toute procédure engagée contre les DAF de ces entités devra s’étendre aux actes posés par les ordonnateurs.
« A ce propos, je voudrais rappeler que depuis septembre 2021, des instructions ont été données pour traiter la situation des comptes gelés des anciens hauts fonctionnaires. Je vous ai personnellement saisi officiellement pour traiter ce dossier. A ce jour, aucune suite n’a été donnée, ce qui dénote les difficultés de notre administration judiciaire à évacuer les dossiers dans les meilleurs délais », déplore le Chef du Gouvernement.
Les griefs portés par Dr Bernard Goumou contre le garde des sceaux ne se limitent pas là. « Il est à noter que depuis votre prise de fonction, vous avez édicté plusieurs injonctions qui restent encore sans suite. Aussi, la notification par voie de presse publique aux serviteurs de l’état est un élément de dégradation et une atteinte à la vie de la personne surtout lorsque la preuve n’est pas établie », a enjoint Dr Goumou.
Les injonctions répétées et les mesures d’interdiction de sortie du territoire infligées à des cadres qui sont au service de l’Etat affectent la sérénité et le bon fonctionnement de l’administration, déjà groggy par des lourdeurs sempiternelles.
A titre d’exemple, nous détaille-t-on, alors qu’on est à la veille de l’ouverture de la table-ronde des bailleurs sur le Programme Intérimaire, certains hauts fonctionnaires n’ont pas pu encore obtenir des ordres de mission à cause des procédures judiciaires ouvertes contre eux. Certains de ces cadres étaient pourtant censés défendre auprès des bailleurs à Dubaï des projets importants qui seront bénéfiques pour le pays.
Source: Africa Guinée