Joseph Fara TENGUIANO, jeune Journaliste Guinéen du groupe HADAFO Médias, un empire médiatique composé de plusieurs radios et télévisions privées, croise le fer avec les putschistes. Depui le début de l’année 2024, les journalistes de ce média jugé très critique à l’endroit de la junte militaire au pouvoir depuis le 05 septembre 2021, suite à un Coup d’État sont dans le viseur des militaires.
Dans son adresse à la Nation le 31 décembre 2023, le chef de la junte avait promis de faire du sale boulot. Sans pour autant indexer directement la presse libre, les choses se sont accélérées pour les journalistes guinéens. D’abord des convocations, intimidations et d’autres formes de baîllonnement. Parmi les victimes de cet acte anti- democratique, figure le Journaliste Joseph Fara TENGUIANO. Né le 18 janvier 1990 à Kissidougou en region forestière et domicilié au quartier Hamdallaye pharmacie, dans la commune de Ratoma-centre, Joseph a failli être tué par des militaires en début d’année. Connu pour son professionnalisme et ses prises de position contre les forces spéciales (Unité qui a renversé le président Alpha Condé), il a été filé et poursuivi un soir jusque dans son retranchement afin qu’il serve d’exemple pour l’ensemble des hommes de médias.
L’enfer sur terre commence chez lui le 22 janvier 2024 à 3h du matin, lorsqu’il se rendait à la Radio Espace pour animer son émission.
” j’ai échappé à une tentative d’enlèvement par les hommes encagoulés qui étaient à bord de leur pick-up. L’incident a eu lieu entre la gare routière de Bambéto et le marché Koloma. J’étais donc à moto et j’avais sur moi, un sac à dos dans lequel se trouvaient mon ordinateur MacBook Pro, son chargeur et un dictaphone, mon téléphone Android et une somme d’argent que je devrais payer à l’école, après l’émission à la radio. C’était des frais de scolarité de mes enfants. C’est le Président Directeur Général Lamine Guirassy, fondateur du Groupe Hadafo Médias qui m’avait remis ces matériels pour me faciliter le travail. En cours de route pour rallier le service, j’ai vu un pick-up avec les clignotants qui m’a dépassé à vive allure. Mais il est parti stationner un peu loin, sur mon trajet. Quand j’ai avancé, je me suis rendu compte qu’il s’agissait des hommes encagoulés et en uniforme militaire qui m’attendaient. J’ai tenté de tourner pour dévier, c’est là qu’ils m’ont pourchassé avec leur pick-up. Certains sont descendus du pick-up pour me pourchasser aussi. Ils avaient réussi à me rattraper. Ils m’ont demandé de m’identifier je me suis présenté à eux, en leur disant je suis journaliste en service au Groupe HADAFO Médias. Ils ont tout de suite piqué une colère noire en disant “c’est vous qu’on cherche dans ce pays, vous les journalistes d’Espace. C’est vous qui êtes contre le pouvoir des militaires, contre notre pouvoir…” Ils m’ont tabassé, brutalisé, torturé. Ils avaient même retiré non seulement la moto, mais aussi le sac à dos qui contenait les matériels et l’argent. Alors qu’ils embarquaient ma moto à bord du pickup, j’ai réussi à m’échapper”, a-t-il indiqué.
À quelques encablures de Hamdallaye, quartier considéré comme bastion de l’opposition guinéenne et où se déroule la quasi-totalité des manifestations de l’opposition, le journaliste sera sauvé de justesse par un motard. “J’ai déplacé ce taxi motard qui m’a déposé à la maison. Ce jour, l’émission n’est pas passée et je devrais informer. Mes responsables ont essayé de me joindre sans succès. C’est seulement le soir que je suis allé réactiver ma carte SIM. C’est à l’agence que j’ai aperçu un travailleur de la radio, Daniel qui était venu faire une livraison. C’est à lui que j’ai dit d’appeler mon rédacteur en chef Daouda Mohamed Camara pour lui dire que j’ai échappé ce matin à un enlèvement par des hommes encagoulés, raison pour laquelle je n’ai pas pu aller travailler. Celui-ci m’a accordé un petit congé, le temps pour moi de me remettre des séquelles de l’agression physique dont j’ai été victime”, indique Joseph Fara TENGUIANO. Cet acte de violation des droits de l’homme et d’atteinte à la liberté de la presse et à l’expression libre reconnu par la Charte de la transition a été largement dénoncé par des médias privés. Mais ce n’était que le début d’un projet de faire taire tous les journalistes qui dérangent comme Joseph Fara Tenguiano. Cet enlèvement manqué de Joseph coïncide avec la grève du mouvement syndical qui exigeait à son tour la libération du secrétaire général du syndicat de la presse professionnelle de Guinée(SPPG) arrêté lors d’une manifestation pacifique en faveur de la liberté de la presse menacée.
“Après ce petit temps de congé, j’ai repris le service. La direction générale, pour assurer ma sécurité a ordonné à un chauffeur de l’entreprise de venir me chercher désormais dans la voiture du service chaque matin. Ce qui fut respecté.
Le 20 février 2024 à 3h du matin, le chauffeur recruté au compte de la Radio Espace, du nom de Mory Kaba est venu me chercher à la maison à Hamdallaye pour me déposer à Espace parce que je devrais animer une émission ‘’LE MINI-LIBRE’’ à 4h-45mn. Je coanime cette émission chaque matin, du lundi au vendredi de 4h 45mn à 6h15 mn sur Radio Espace 99.7 en synchronisation avec la télé. C’est une émission dans laquelle nous abordons les sujets d’ordre politique, social et économique avec les auditeurs (une émissioninteractive). Ce jour du 20 février donc, nous avions choisi une thématique sur l’actualité guinéenne, notamment la crise sociale et politique que traverse le pays depuis l’avènement des putschistes le 05 septembre 2021 au pouvoir, à leur tête, le colonel Mamadi Doumbouya, aujourd’hui généralde corps d’armée. C’était en prélude d’une grève générale et illimitée qui pointait à l’horizon. Elle était organisée par le mouvement syndical appuyé par des acteurs sociaux qui avaient aussi appelé à une mobilisation le même jour pour tenir un sit-in devant le siège de l’Autorité de Régulation des Postes et Télécommunication. L’objectif était d’exiger aux autorités la levée immédiate de toutes les restrictions et la libération de notre syndicaliste Sékou Jamal Pendessa détenu pendant un moment par la junte.
L’élimination physique du Journaliste qui dérange à travers des Investigations et intraitable semble donc être le second plan. Cela commence par des messages de menace de mort, comme il le témoigne.
“je suis resté à l’antenne, et en pleine émission interactive avec les auditeurs et téléspectateurs, j’ai reçu un message d’un numéro inconnu qui était masqué. Dans ce message, il était écrit « Fais attention à toi, sinon, je te ferai disparaître. C’est vous les faux journalistes qui critiquez sévèrement notre régime actuel. Tu n’auras pas longue vie si tu continues à donner la parole aux auditeurs.” En réponse, je lui ai demandé : « A qui ai-je l’honneur s’ il vous plait ? » Il me répond en ces termes : « Tu es déjà averti. Nous allons d’ailleurs bientôt fermer cette Radio. Comme ça, vous n’allez plus ouvrir vos sales gueules sur nous, tant que nous sommes là ». Je lui ai dit « Monsieur, je ne fais que mon travail. Est-ce une menace ? »
Il conclut en disant : « C’est plus qu’une menace, et, tu verras bien la prochaine fois. ». Moi, je n’ai plus répondu après ce dernier message qu’il m’a envoyé. Je me suis senti triste, choqué et abattu moralement. Dès après l’émission, j’ai attendu que mon responsable direct M. Daouda Mohamed Camara, rédacteur en chef vienne pour lui montrer les messages contenant des injures et des menaces. Il était venu aux environs de 8h30 et 9h. Frustré, je suis allé immédiatement le voir à son bureau pour lui faire voir les messages. Lui, m’a dit « de ne plus répondre, d’ailleurs de le bloquer.»
Abandonné à son propre sort et compte tenu de la gravité du message reçu, le journaliste n’a que ses yeux pour pleurer. Et il n’est plus seul a en pâtir, les conséquences de l’acte s’élargissent à sa famille. Il reste dubitatif.
“Mais comment vais-je bloquer un numéro masqué, inconnu, un numéro que je ne vois pas ? C’est ainsi qu’il m’avait proposé de rentrer à la maison. J’ai appelé ma femme MANET KADIATOU au téléphone pour lui dire que ma vie est en danger. J’ai dit à cette dernière de joindre immédiatement mon ami KARAMO KOUROUMA pour qu’il puisse venir me chercher rapidement à la radio Espace s’il a son véhicule. Celui-ci est arrivé vers 12h. Lorsque je lui ai expliqué, il m’a proposé de rester chez lui à Sonfonia pour un bon moment, mais de faire partir ma femme et mes enfants adoptifs au village près de mes parents pour leur sécurité. J’étais donc obligé d’interrompre l’année scolaire de mes enfants pour les faire partir. C’est ce qui fut fait. C’est lui mon ami d’ailleurs qui s’est occupé des démarches”, s’est- il confié.
Et ce n’est pas fini, dix (10) jours après, c’est-à-dire le 1er mars 2024 aux environs de 11h, le régime passe à l’offensive.
“Ce jour j’ai reçu l’appel d’un de mes voisins LAMINE SAGNO qui me dit: « qu’il y a deux pick-up garés devant la cour remplis d’éléments du groupement des forces spéciales lourdement armés. Qu’ils sont venus demander un certain Joseph Fara Tenguiano, journaliste. » Il m’a même posé la question de savoir si « c’est un crime que j’ai commis ? ». Il m’a conseillé en me disant « de ne pas venir à la maison ces moments-ci. Que les éléments de forces spéciales me cherchent. » Je lui ai dit d’accord en le remerciant pour cette alerte. Le même jour à 16h et quelques minutes, je vois un appel toujours d’un numéro masqué. Je prends quand-même le courage de décrocher pour savoir ce qu’ils me veulent au juste. Lorsque j’ai décroché l’appel, il me demande en même temps où je me trouve ? Qu’ils m’ont porté absent à la maison, qu’ils ont sérieusement besoin de moi. Je lui ai dit de venir à Espace je suis là. Très en colère, il a proféré des injures en me traitant d’impoli et de bâtard. J’ai raccroché. Il a appelé à plusieurs reprises, moi je n’ai plus décroché. J’ai encore joint au téléphone mon rédacteur en chef M. Daouda Mohamed Camara et le secrétaire de Rédaction Idrissa DIALLO pour leur dire que je continuais à recevoir des appels de menaces et injures. Même la descente musclée chez moi pendant la journée, je suis au courant. Ils ont provoqué la peur et la panique dans mon quartier”.
Le 22 mai 2024 restera gravé dans l’histoire de la presse guinéenne comme une journée noire. C’est ce jour que le gouvernement de la transition, par le biais d’un arrêté émanant du ministre de l’Information et de la Communication Fana SOUMAH, a retiré les agréments et licences des groupes Hadafo Médias Djoma Média, et Fréquence Médias. L’idée est de faire taire toute voix dissonante. Cette décision brutale a plongé des milliers de journalistes dans le chômage. Au total plus de 500 journalistes.
“Avant ce jour moi, j’avais déja traversé des moments très difficiles. Non seulement j’étais recherché et menacé de mort, mais aussi mon lieu de travail était fermé et jusqu’ à maintenant où je vous parle. Nombre d’entre nous se sont résignés à se tourner vers d’autres activités pour se tirer d’affaires avec une conjoncture économique particulièrement compliquée. Plus de 100 jours après cette décision, la majorité de ces professionnels de l’information dont je fais partie a perdu tout espoir et se trouve dans l’incapacité de subvenir aux besoins de leurs familles. Pour ne pas sombrer, certains d’entre nous ont choisi de se reconvertir. Moi, j’ai été personnellement surpris de voir notre média Hadafo, où je travaille depuis 3 à 4 ans, fermé soudainement, nous laissant au chômage forcé. Ça me touche vraiment. Le CNRD, au lieu de créer des emplois, nous met en chômage. Dans d’autres pays, on crée de l’emploi, malheureusement en Guinée, on détruit des emplois”, regrette notre interlocuteur.
Le journaliste Tenguiano et sa famille voient leur vie basculer et exposée à la mendicité. C’est le Chao et la descente aux enfers, puisqu’il n’aucune autre source de revenus.
“C’est dans ce travail que j’arrivais à faire face au besoin de ma petite famille au moins, car j’ai un statut de marié, j’ai des responsabilités, des obligations familiales, des charges de ma femme surtout qui est malade. Chaque mois, elle doit aller à l’hôpital pour se soigner, c’est coûteux. Mes enfants adoptifs aussi, il faut payer leur scolarité. Mais depuis plus de 100 jours, je suis au chômage à cause de la fermeture de notre média. Sinon, j’ai signé un CDI avec l’entreprise. J’avais pour tâche : la présentation des éditions d’information, des bulletins et flashs à la télé et à la Radio, la réalisation des reportages sur le terrain et des interviews, l’animation des émissions politiques notamment. Mais, depuis cette fermeture, je n’exerce aucune activité professionnelle, car ma vie était aussi en danger et menacée. Es-ce qu’il fallait fuir ces menaces de façon répétées ou bien chercher du travail pour vivre. C’est vraiment une situation difficile. Malgré la situation précaire, nous avons lancé de multiples appels tant au niveau national qu’international, la junte au pouvoir en Guinée reste inflexible quant au retour de ces médias dans le paysage médiatique du pays”.
Sous l’ancien régime, notre interlocuteur a encore fait l’objet de violences physiques. Il faisait partie des victimes de la manifestation du 31 octobre 2017. Une manifestation initiée demander la libération du secrétaire général d’alors de l’union des radios et télévisions libres de Guinée(URTELGUI). Il se rappelle de cette autre journée noire.
“Les exactions sur les journalistes datent de bien longtemps même si elles se sont exacerbées avec la junte au pouvoir. Pour rappel, le 31 octobre 2017, je travaillais en ce moment pour le média ‘’LE GROUPE EVASION-GUINEE’’ en tant que reporter et présentateur. Nous, (journalistes) de la presse privée étions partis apporter un soutien à notre collègue Aboubacar CAMARA, directeur général de Gangan tv qui avait été mis à l’arrêt, alors qu’il exerçait son métier de journaliste. Il avait donc passé la nuit en prison à la gendarmerie de Yimbaya. De la gendarmerie de Yimbaya, ils l’ont transféré à l’escadron mobile numéro 3 de Matam. A l’intérieur de la cour, nous avions essayé de nous réunir pour voir dans quelle mesure nous pouvions intervenir pour l’encourager et le rassurer. C’est là qu’ils ont fait une ceinture selon leur jargon et ils nous ont encerclé et commencé à nous tabasser, torturer, injurier. Moi, personnellement j’avais le matériel de travail notamment la caméra et le micro. Un agent me l’a enlevé par la force pour piétiner et il l’a détruit. Ensuite, ils se sont mis à nous pourchasser encore. Certains de mes collègues se sont blessés, d’autres aussi comme moi, ont perdu leur matériel de travail.
De Matam, puisqu’il y avait une manifestation sur la route le prince Hamdallaye-Bambéto-Cosa, je suis passé faire le constat avant d’aller à Évasion. J’avais au moins mon téléphone Android en poche et le micro aussi, puisque la caméra avec laquelle j’étais allé a été détruite de l’autre côté à Matam. Là également, sur cette route dite LE PRINCE, les manifestants ont commencé à jeter des pierres, des projectiles en notre direction, puisque j’étais à côté des agents de forces de l’ordre pour pouvoir me mettre à l’abri, mais les forces de l’ordre essayaient de les disperser à coup de gaz lacrymogène. C’est là que j’ai eu très mal avec le gaz qui a été utilisé pour disperser les manifestants.
Je suis donc régulièrement victime d’agressions et de violences, particulièrement lors de manifestations politiques. Je suis victime de menaces de mort et de harcèlement sur les réseaux sociaux. Les auteurs de ces actes de violence sont souvent des agents des forces de l’ordre mais aussi des militants de partis politiques. Même notre secrétaire général du principal syndicat de la presse, Sékou Jamal Pendessa, a passé plus d’un mois en détention pour avoir voulu organiser une manifestation pour la liberté de la presse en Guinée. Mon collègue de service à Espace, Mamoudou Babila KEITA, a été suspendu récemment pour une période de plus de 06 mois par la Haute Autorité de la Communication (HAC), alors qu’il enquêtait sur des faits de corruption et de détournement des cadres du pays pendant ce régime du général Mamadi Doumbouya.