Autant certains s’amusent du caractère rocambolesque de l’évasion de prison, le 4 novembre, du capitaine Moussa Dadis Camara et de ses codétenus, autant une partie de l’opinion, en Guinée, s’émeut sérieusement des incidences de cette expédition sur le procès en cours de certains membres de la junte au pouvoir lors des massacres du 28 septembre 2009. Les inquiétudes des victimes peuvent-elles se comprendre ?
Pour les victimes du massacre du stade du 28-Septembre ou leurs survivants, il est légitime de s’inquiéter. Que le colonel Claude Pivi, toujours en cavale, soit rattrapé ou pas, cette tentative demeure préoccupante. Car,le commando à l’origine de cette évasiona fait la preuve de sa capacité de nuisance, en extrayant aussi facilement ces détenus de haute importance d’une prison nichée au cœur d’un environnement parmi les mieux sécurisés de Conakry.
Après une telle démonstration, d’aucuns pourraient hésiter à témoigner contre ces officiers impliqués dans cette tuerie parmi les plus sanglantes de la Guinée indépendante. Et ces militaires font d’autant plus peur qu’ils demeurent sans remords et n’ont même pas le courage d’assumer les actes de leur junte, au nom de laquelle des soldats ont brutalisé les Guinéens, violé des femmes, ensanglanté Conakry et, en l’espace d’une après-midi, tué plus de 150 personnes. C’est un réel drame continental que d’imaginer cette Guinée, si grande et si belle, pour laquelle la jeunesse africaine, à la fin des années 1950, était prête à tout donner, ait pu échouer aussi facilement entre les mains d’individus de si peu d’envergure.
Pourquoi donc la jeunesse africaine était-elle prête à tout donner pour la Guinée?
Parce que la France gaulliste s’employait à faire payer à Sékou Touré l’affront du « non » au général De Gaulle, le 28 septembre 1958. La France sevrait la Guinée d’enseignants, de cadres et de moyens. Cette indépendance-là a été un abandon, et nombre de jeunes Africains, frais émoulus des universités et autres grandes écoles, choisissaient de s’installer à Conakry, plutôt que de rentrer dans leur patrie. Certains écourtaient même leurs études, pour aller servir en Guinée. Sékou Touré, acculé de toutes parts, en devient paranoïaque et, bientôt, le tyran irascible que l’on sait. Aujourd’hui encore, certains imputent, au moins en partie, la dictature de Sékou Touré à la France du général De Gaulle.
Cela n’excuse en rien le tort que Dadis Camara et ses amis feront plus tard aux Guinéens. Mais l’histoire des peuples est un tel enchevêtrement de causes et de conséquences. Ainsi, la dictature subie sous Ahmed Sékou Touré pousse la Guinée à devenir, dans les décennies 1970 et 1980, une des nations africaines à disposer, dans sa diaspora, d’un nombre élevé d’intellectuels et de cadres bien formés. Contraints de fuir la dictature et un système éducatif relativement au rabais, les jeunes Guinéens, conscients de ce qu’il leur fallait être parmi les meilleurs pour espérer réussir, en exil, font de brillantes études et se surpassent, pour figurer parmi les meilleurs. De la dictature a donc surgi un abondant vivier de matière grise, en exil, hélas !
Ces cerveaux ont dû, pour la plupart, rentrer d’exil, après la mort de Sékou Touré, en 1984. Qu’en a donc fait la Guinée?
Certains sont rentrés, mais pas la plupart. Car, le général Lansana Conté ne constituait pas une véritable rupture, par rapport à Sékou Touré. Et ceux qui rentraient étaient quelque peu marginalisés par ceux restés au bercail, qui leur en voulaient d’être partis goûter au bonheur à l’étranger, pendant que eux, subissaient les réalités. Les manants, avec une pointe d’amertume et de rejet, traitaient les exilés de « diaspos ». Las d’être accueillis comme des étrangers dans leur propre pays, beaucoup repartiront. Ils sont de plus en plus nombreux à regagner la Guinée, aujourd’hui, mais l’antagonisme demeure, et nuit sournoisement. Voilà pourquoi – et comment – avec autant de têtes bien faites et d’aussi abondantes richesses naturelles, cette Guinée échoue entre les mains des Dadis Camara, Pivi et autres dirigeants de peu d’envergure…