Quelque trois millions d’électeurs sont appelés aux urnes ce samedi pour choisir leur nouveau président, Parlement et conseils municipaux. Le président sortant Julius Maada Bio brigue un second mandat face à douze autres candidats, mais le match va se jouer entre lui et son principal adversaire Samura Kamara, l’homme qu’il a battu de justesse il y a cinq ans.
Au total, 13 candidats seront en lice mais cette présidentielle sera un nouveau face-à-face entre le président sortant Julius Maada Bio et Samura Kamara, un ancien ministre des Finances à la tête du Parti du peuple. Le chef d’État se targue d’avoir introduit la gratuité dans les écoles et d’avoir promu les droits de femmes. Il compte notamment mener ses mesures progressistes comme l’abolition de la peine de mort et une loi sur l’égalité des genres.
En revanche, il essuie de critiques sur son bilan économique, que l’opposition qualifie de « catastrophique ». En avril dernier, la Sierra Leone a vu l’inflation grimper à plus de 43%. Et justement, c’est sur ce point que mise Kamara, qui, de son côté, promet de restaurer la confiance et d’attirer les investisseurs. Le technocrate a justement fait campagne sur le redressement de l’économie et projette de réorganiser l’agriculture et le secteur minier ainsi que de restaurer la confiance dans la monnaie locale pour stopper la dévaluation.
Le vainqueur a besoin de 55% des voix pour remporter la victoire au premier tour, sinon il y aura un second tour dans les deux semaines.
Ce vote est aussi plombé par le risque de violence est l’une des inconnues pour ce scrutin dont la tension est montée ces derniers jours depuis que le principal parti d’opposition, l’APC, a exigé la démission du président de la Commission électorale.
Mercredi, des heurts ont éclaté lors d’une manifestation de l’APC, faisant deux morts selon le parti. Le même jour, le siège du groupe a été incendié « dans un acte d’intimidation », a dénoncé Samura Kamara, le président de l’APC.
Autre facteur qui attise les craintes de la population, c’est la diffusion de messages de haine sur les réseaux sociaux, ciblant certains groupes ethniques. Des messages qui « portent atteinte à la paix dans ce pays ravagé par une guerre civile brutale », a estimé l’agence nationale chargée des questions de sécurité.
Cette présidentielle est la revanche de 2018 entre Julius Maada Bio, ancien militaire à la retraite de 59 ans et son concurrent technocrate Samura Kamara, 72 ans, chef du Congrès de tout le peuple (APC). M. Bio, candidat du Parti du peuple de la Sierra Leone (SLPP), l’avait emporté au second tour avec 51,8% des voix.
Depuis, M. Bio a eu à gouverner l’un des pays déjà les plus pauvres de la planète, à présent durement touché par les chocs consécutifs de la pandémie de Covid-19 puis de la guerre en Ukraine. L’ancienne colonie britannique peinait déjà à se remettre d’une guerre civile sanglante (1991-2002) et de l’épidémie d’Ebola (2014-2016).
L’inflation et l’exaspération à l’encontre du gouvernement ont provoqué en août 2022 des émeutes qui ont causé la mort de 27 civils et six policiers.M. Bio a dû naviguer pendant cinq ans entre les écueils, tout en se faisant le champion de l’éducation et des droits des femmes.
Il entend privilégier l’agriculture et réduire la dépendance de son pays aux importations alimentaires au cours d’un second mandat, a-t-il dit à l’AFP. Son principal adversaire, Samura Kamara, compte restaurer la confiance dans les institutions économiques nationales et attirer les investisseurs étrangers, a-t-il déclaré à l’AFP.
Enjeux : Comment être élu ?
Un candidat doit recueillir 55% des votes valables pour être élu au premier tour. Environ 3,4 millions de personnes sont appelées à choisir entre 13 candidats. Les bureaux ouvriront à 7H00 (locales et GMT) et fermeront à 17H00. Les Sierra-Léonais éliront au même moment leur Parlement et les conseils locaux. Un tiers des candidats devront être des femmes, en vertu d’une nouvelle loi.
“Une étincelle”
La cherté de la vie est la préoccupation commune à une très grande majorité de Sierra-Léonais. Les prix de produits de base comme le riz sont montés en flèche. L’inflation était en mars de 41,5% sur un an.
“Les gens ont beaucoup de mal ne serait-ce qu’à se payer trois repas par jour. Les prix augmentent tous les jours”, dit un jeune homme de 19 ans du bidonville de Cockle Bay, à Freetown, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat comme de nombreux compatriotes dans le contexte électoral. “En plus, le gouvernement viole nos droits fondamentaux, à commencer par la liberté d’expression”, dit-il.
Après des décennies de troubles, de coups d’État et de régimes autoritaires, la Sierra Leone élit son président depuis la fin des années 1990.
Les prix augmentent tous les jours.
Un jeune habitant de Freetown.
Les défenseurs des droits dénoncent la persistance de graves abus, y compris de la part du gouvernement ou au nom du gouvernement. L’ouverture en février d’un procès pour corruption contre Samura Kamara juste après sa désignation comme candidat de l’APC a soulevé des questions.
La maire sortante de la capitale, membre populaire de l’APC et candidate à sa réélection, a elle aussi eu maille à partir avec la justice.
Les analystes soulignent cependant qu’une grande partie des Sierra-Léonais devraient se déterminer bien plus en fonction des appartenances régionales que du prix des denrées ou du respect des droits, et feront le calcul que l’argent et le travail iront aux régions dont les représentants seront associés au vainqueur de la présidentielle.
Le risque de violence est l’une des inconnues, bien que la campagne ait été plus calme que les fois précédentes à Freetown. Le SLPP et l’APC se sont accusés mutuellement d’agressions. Macksood Gibril Sesay, ancien membre de la commission électorale, se dit inquiet du fait qu’après les émeutes d’août 2022, il n’y ait “pas eu de processus de guérison”. “Tout le monde sait bien que les élections sont une période où il suffit d’une étincelle pour qu’il y ait le chaos partout”, dit-il.
La désinformation, elle, abonde de part et d’autre et les réseaux sociaux devraient exercer une influence qu’ils n’ont encore jamais eue. Environ trois millions de personnes ont désormais accès à Internet, alors qu’elles n’étaient que 370.000 en 2018, indique le ministre de l’Information Mohamed Rahman Swaray.
Treize candidats, deux favoris
Un sondage de l’Institut pour la réforme de la gouvernance (IGR) prédisait en juin 56% des voix à M. Bio, 43% à M. Kamara. Car s’il y a treize candidats, la victoire se jouera entre ces deux hommes qui représentent les deux principaux partis se partageant, en alternance, le pouvoir en Sierra Leone.
Julius Maada Bio, président de la Sierra Leone et candidat à sa propre succession, ici en novembre 2021 à la COP26 de Glasgow. Le président sortant de la Sierra Leone Julius Maada Bio est un ancien putschiste de 59 ans, élu en tant que civil en 2018 et qui brigue ce samedi un second mandat. Aujourd’hui père de famille très attaché à l’éducation et à la cause des femmes, Julius Maada Bio a travaillé dur pour se refaire une image. Ses partisans saluent son bilan et vantent certaines de ses mesures phares présentées comme les plus progressistes de la région, comme l’abolition de la peine de mort, une loi sur l’égalité des sexes, un quart du budget consacré à l’éducation…
Dans la capitale Freetown, son visage orne les panneaux publicitaires pour annoncer la distribution gratuite de serviettes hygiéniques aux élèves. Il a aussi pris des mesures pour que les enfants vulnérables, y compris les jeunes filles enceintes, poursuivent leurs études. Ses détracteurs dénoncent eux un rétrécissement de l’espace civique depuis qu’il est au pouvoir.
M. Bio est originaire du sud, un bastion du Parti du peuple de la Sierra Leone (SLPP) qu’il dirige aujourd’hui. Son père, un chef local, est mort lorsqu’il avait quatre ans et il a été élevé par une mère analphabète, qui lui a inculqué selon lui le respect des femmes.
En 1992, il a participé à un coup d’État avec un groupe dont le chef, Valentine Strasser, est devenu le plus jeune chef d’État du monde à l’âge de 25 ans. Bio a été chef d’état-major de la Défense et adjoint de Strasser avant de le renverser en 1996 et de prendre brièvement la tête de l’État. Il a accepté de se retirer trois mois plus tard pour laisser la place à un dirigeant civil élu et s’est excusé par la suite pour son rôle dans la junte. M. Bio se décrit comme un homme peu bavard, qui cache souvent ses émotions.
Le leader de l’opposition sierra léonaise, candidat à la présidentielle du 24 juin, Samura Kamara, pose avec des supportrices. Samura Kamara, 72 ans, candidat du parti le Congrès de tout le peuple (APC), veut sa revanche ce samedi 24 juin. Ancien gouverneur de la Banque centrale, ministre des Finances et des Affaires étrangères quand l’ex-président Ernest Bai Koroma, de son bord politique, était à la tête de l’Etat de 2007 à 2018, M. Kamara est volontiers décrit comme un technocrate méticuleux.
“Il est temps pour moi de passer de directeur financier à directeur général”, dit-il à l’AFP. En décembre 2021, il a été accusé d’avoir détourné plus de 2,5 millions de dollars de fonds publics dans une affaire relative à la rénovation prévue d’un consulat à New York quand il était ministre des Affaires étrangères.
“Il est infatigable”, décrit l’un de ses anciens collègues. “Nous révisions notre travail cinq fois avant de le lui apporter”, confie-t-il. “Dans (la) fonction publique en Sierra Leone (…) les professionnels ne prennent pas le temps de faire de leur mieux, ils se contentent de cocher des cases – il ne le permet pas”, raconte ce fonctionnaire.
Samura Kamara a promis d’accepter les résultats de l’élection présidentielle. “Le président Bio et moi sommes amis”, déclare-t-il à l’AFP. “Si on se rencontre, on se dit bonjour. On est dans la même église. Je l’ai servi, il me connaît, il connaît mon travail”. M. Kamara était secrétaire d’Etat aux Finances de Julius Maada Bio quand celui-ci était à la tête d’une junte au pouvoir en 1996.
Avec RFI/TV5