L’heure du grand déballage a sonné ! Une des têtes d’affiche présumées du procès des massacres du 28 septembre 2009, Commandant Aboubacar Diakité, alias Toumba a comparu au tribunal criminel de Dixinn délocalisé à la cour d’appel de Conakry. Devant le juge Ibrahima Sory 2 Tounkara, l’accusé a promis de tout dire. Son intervention de ce mercredi 20 octobre a porté sur sa rencontre avec le Capitaine Moussa Dadis Camara, la naissance du CNDD, le recrutement des soldats de Kaléah.
« Je suis aujourd’hui ici pour faire la synthèse générale des événements du 28 septembre 2009 dans la sincérité. J’ai observé mes coaccusés s’inscrire dans la dénégation totale. Devant le peuple qui t’a recruté, qui t’a nourri, qui te paie, c’est la loyauté. Malheureusement, mes amis veulent écrire l’histoire à sens unique. Toumba est un homme de parole. Il n’a pas peur. Je n’ai peur que du Tout-Puissant Allah », a-t-il déclaré.
Rencontre Toumba- Dadis, préparation et prise du pouvoir
A l’entame Toumba a expliqué sa rencontre avec le Capitaine Moussa Dadis Camara, son apport dans la prise du Pouvoir de celui-ci. Il a aussi révélé comment feu Général Toto a perdu le Pouvoir en un laps de temps après le décès du Général Lansana Conté et comment Dadis a été choisi au profit du Général Sékouba Konaté.
« C’est Begré qui m’a informé que le Président Conté est mort. J’ai aussitôt informé Dadis en le réveillant. Il a appelé ses relations qui lui ont confirmé. Tout de suite l’énergie lui revenue comme s’il ne dormait pas. Il me dit Toumba allons en ville. Je lui ai répondu NON, sinon on risque de se faire prendre. Je lui ai demandé de l’argent. Je lui demandé d’aller prendre ses hommes chez lui et rendez-vous au camp Alpha Yaya. J’ai partagé l’argent à tous les hommes présents, on était seize. Je leur ai dit de se préparer pour le camp Alpha Yaya. Marcel et un autre, on était ensemble. On est allé chez moi…C’est comme qu’on s’est retrouvé au camp avec Dadis. Le Général Sékouba Konaté, commandait le BATA. Il était très armé, très fort…il n’y avait son deux dans la capitale. Bien que Dadis fût nommé Directeur Général des Hydrocarbures des forces armées, il relevait toujours du commandement du Général Sékouba Konaté. Ce sont des rivaux. Les hommes du Général Konaté le soutenaient pour qu’il prenne le Pouvoir. Il avait sa base au camp Alpha Yaya. C’est comme ça qu’on est tous arrivé. Pendant ce temps, le Général Toto avait pris le camp, notamment le bataillon chars, le bataillon de l’artillerie. Il avait pris le Pouvoir. Ce que je vais dire ici, c’est pour que les gens comprennent d’où est parti les griefs de certains contre moi
Quand je suis venu, tous les officiers étaient au bataillon dans la salle de réunion. Le Pouvoir est pris par le Général Toto. Dadis est assis, Konaté est assis…tous les officiers sont assis, mon frère, le colonel Tiégboro assurait le Secrétariat pour le Général Toto (décédé). C’était fini (presque). Mais moi j’avais promis à Dadis parce qu’il m’avait rassuré. On avait un pacte. Je l’aime. J’ai aussi un principe. Lorsque je jure sur le coran, je ne reviendrai plus en arrière. Quand je suis venu, j’ai dégagé le garde de corps qui était dehors, ils étaient enfermés dedans. J’ai brisé la porte pour entrer, il y a eu un silence. Le Général Toto a balayé du revers de la main…il a dit ça c’est de l’indiscipline. Je lui ai répondu : « quoi ? Ne bouge pas de là où tu es assis ». Le seul civil qui était là-bas s’appelle Daffé, je l’ai vu dans la mouvance du RPG. Ce dernier s’est levé pour dire « jeune homme », j’ai levé l’arme pour lui dire : flanque-toi ». Il s’est assis. J’ai ramassé les papiers sur lesquels Tiégboro notait. Eux tous ont fui laisser, la salle vide.
Quand je quitte, les Boundouka (gouverneur de Faranah) et autres viennent effrayer Dadis, lorsque je reviens, ils fuient. Ce sont des faibles. Quand ils ont compris que leur manigance a foiré, on s’est rendu au BATA (bataillon autonome des troupes aéroportées). Là, j’ai assuré la sécurité totale pour montrer que Dadis est présent. Au bataillon, PIVI n’était pas là-bas. Mais même lui cherchait des appuis pour prendre le Pouvoir. Il était à l’affût en bas.
Au BATA, partout où Dadis s’assoie, je reste arrêté derrière lui. Là, je vois Tiégboro venir parler dans l’oreille de Dadis. Je l’ai ramassé en criant : « depuis quand tu peux te compter comme ça devant un président ? ». Grand Co (Pivi alias Coplan) est là, il sait. Il fallait démembrer Toto pour lui montrer que Dadis est le Président. Il était question d’arrêter le commandant du bataillon des chars. Grand Co est parti, il n’a pas pu, c’était la nuit. Le commandant du camp Alpha Yaya Fotédy, je suis parti le prendre. C’est là que Toto a compris qu’il fallait nous rejoindre.
Avant d’officialiser le choix (du président) entre nous, le capitaine Dadis, Grand Co, le Général Konaté et moi, on s’est assis pour décider qui doit prendre le Pouvoir. Le Président Dadis m’a fixé pour me dire : « Toumba qu’est-ce qui en dis ? ». Je lui ai répondu : « toi et le Général Konaté, vous êtes nos Grands. Mais tu m’avais fait savoir que Konaté t’avait promis qu’il allait te céder la place. Grand Co a confirmé ». On était deux contre un. C’est comme ça que le capitaine Dadis est devenu Président. Voici comment le CNDD est venu au Pouvoir. Je l’explique pour le peuple de Guinée pour que les gens arrêtent d’extrapoler. Et qu’on comprenne comment les uns et les autres ont mouillé le maillot pour en arriver là. Marcel Guilavogui aussi était un de nos piliers qui a travaillé pour mobiliser les hommes.
Structure du commandement à la Présidence sous Dadis
Les premiers décrets, Grand Co a été nommé ministre chargé de la Sécurité présidentielle. C’était un nouveau poste. On se posait des questions sur des risques de conflits de compétence. Je suis devenu l’aide de camp du président de la République (…). A la prise du Pouvoir, d’autres ont fait venir le bataillon des commandos chinois basé à Kindia. Il était dirigé par l’actuel inspecteur des forces armées, le nouveau Général Abdoulaye Keita. Il est descendu pour un renfort. Le bataillon des commandos rangers basé à Soronkoni (Kankan) est descendu à Conakry pour renforcer la prise du Pouvoir
Les deux bataillons se sont rencontrés à la Présidence. C’est moi qui ai relevé toutes les positions du feu Général Lansana Conté. Personne ne m’a dit. C’est moi qui ai relevé tous les camps…On ne prend le Pouvoir et laisser l’ancienne garde. Ceux qui parlent aujourd’hui, où ils étaient avant la prise du Pouvoir ? Ils m’ont vu avec Dadis. Je ne suis pas quelqu’un qui cherche à se substituer de quelque chose. Tout ce que je fais, je mets la conscience devant, la force derrière. J’ai une cinquième dent, formé par les américains, je suis encore médecin. J’ai fait sept ans au service de cardiologie de l’hôpital Ignace Deen comme médecin interne. C’est là j’ai travaillé sur ma thèse de mémoire.
A part les unités que j’ai cité ci-haut, il y avait d’autres à la Présidence. Cette hétérogénéité à la Présidence ne rassurait. Le Pouvoir n’était pas acquis à 100%. Dadis le sait (…). Dans la structure de commandement, j’étais le commandant du régiment de la garde présidentielle. J’étais chargé de la sécurité physique du président et le contrôle du salon ».
Les recrues de Kaléah
Les recrues de Kaléah (Forécariah) ont été citées dans la commission des atrocités survenues au stade du 28 septembre 2009. Dans plusieurs procès-verbaux établis, les noms de ces hommes dont le recrutement n’aurait pas respecté les règles y viennent sans cesse. Mais qui sont ceux qui ont recruté ces jeunes ? Comment ont-ils été armés ? Toumba a fait des révélations croustillantes sur ce recrutement, dont il nie avoir été associé. « Le recrutement n’a pas suivi les critères normaux. Au temps de Conté, lorsqu’il y avait recrutement, les quotas étaient répartis aux quatre régions militaires. Cette fois-ci, il était question de recruter et de muter. Je ne connais pas le nombre exact mais le ministre de la défense a dit c’est 9000 hommes. Ils étaient uniquement constitués que des proches de Dadis
Après le recrutement, il y’a eu une répartition sélective. Ceux qui étaient en charge du recrutement de Kaléah sont Makambo, Bienvenu Lamah, Théodore, Gono Sangaré et le président Dadis…Un jour je rentre à la présidence, je vois de nouveaux visages. Ils étaient armés de machettes et de flèches. J’ai cherché à savoir et on m’a dit que ce sont les hommes des noms que je viens de citer », a-t-il indiqué.
Comment ces recrues ont été armées ?
Sur cette question, Aboubacar Diakité a démenti les déclarations faites par Marcel Guilavogui qui a récemment soutenu avoir reçu ses deux armes à l’issue d’un partage fait par l’ancien aide de camp du Capitaine Moussa Dadis Camara. « Le président Dadis a envoyé ses proches au magasin d’armement pour s’en approprier. Le Général Sékouba Konaté a envoyé son aide de camp Joe pour me voir afin qu’on aille voir ce qui se passait. Je lui ai dit que je suis fatigué mais d’aller avec la garnison constater les faits. Ils sont partis trouver le groupe-là avec le camion rempli. Entretemps, ils sont revenus avec le camion rempli d’armes. J’ai l’ai vu au niveau de ma fenêtre », a déclaré Toumba. L’audience a été renvoyée au lundi 24 octobre 2022 pour la suite des débats.