S’il est vrai que l’ancien Premier ministre Mohamed Beavogui se sentait de plus en plus fatigué durant les semaines qui ont précédé sa venue à Rome pour un contrôle médical, les raisons de santé évoquées dans le décret portant sur son remplacement à la Primature en Guinée arrangent tout le monde.
Ainsi, le chef de la junte au pouvoir à Conakry, le colonel Mamadi Doumbouya, ne perd pas la face et le Premier ministre non plus, une manière de se retirer sans soulever de poussière.
La nomination de Mohamed Beavogui au poste de Premier ministre, le 6 octobre 2021, avait pourtant suscité beaucoup d’espoirs au sein de la population et auprès des partenaires de la Guinée, surtout après un coup d’Etat qui a enfoncé un peu plus le pays dans l’instabilité politique.
Les défis étaient énormes et la priorité partout. Cet ancien haut fonctionnaire des Nations unies comptait sur son sens de l’organisation. “Un peu naïf de sa part”, a commenté un de ses proches pour qui la Guinée est minée par la corruption et une indiscipline presque à tous les niveaux.
Et la prise de pouvoir par les militaires en Guinée n’a pas arrangé les choses. Mohamed Beavogui s’est senti parfois impuissant et sans autorité face à certains membres, notamment civils, du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD).
Cette institution a été mise en place à la tête du pays après le coup d’Etat et dont personne ne connaît la totalité de ses membres.
“Peu consulté, ni associé”
Cela faisait longtemps que l’ex Premier ministre se sentait sinon irrité du moins impuissant en voyant son autorité et ses prérogatives s’effriter.
Un exemple en est la création du poste de coordination du Bureau de suivi des priorités présidentielles (BSPP). Cet instrument, qui en réalité dépossédait le chef de l’exécutif de tous les dossiers économiques, serait à l’origine de l’une des brouilles entre le CNRD et Mohamed Beavogui.
On se souvient aussi de sa frustration après le changement de nom du principal aéroport du pays en décembre 2021, deux mois seulement après sa nomination.
“Je suis surpris, mécontent et dépassé. J’apprends comme vous et comme tout le monde. Je n’ai été ni consulté ni associé dans la prise de décision… “ : tels étaient les propos attribués à Mohamed Béavogui, par la presse locale après la décision du président de la transition de changer le nom de l’aéroport international de Conakry Gbessia en aéroport international Ahmed Sékou Touré, du nom de l’ancien président controversé.
Quelques jours avant cette affaire, le 13 décembre 2021, le CNRD avait, dans un communiqué, désavoué son Premier ministre qui avait promis à la Cédéao la mise en place du Conseil national de la transition (CNT) avant le 31 décembre 2021.
Ceci après une intense tractation diplomatique auprès des chefs d’Etat de la Cédéao pour éviter que des sanctions supplémentaires ne soient prises contre le pays.
La mise en place de cet organe législatif, le CNT, avait pourtant été notifiée par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, dans son communiqué final du 60e sommet des chefs d’Etat de l’organisation, tenu à Abuja au Nigeria le 12 décembre 2021.
“Au lendemain du 60e sommet de la Cédéao, il aurait dû déjà rendre son tablier”, a estimé l’un de ses conseillers toujours en poste.
Le procès des massacres du 28 septembre 2009 que voulait organiser le gouvernement et la détention sans jugement des personnalités du gouvernement déchu d’Alpha Condé sont d’autres sujets qui entraînent des grincements de dents au sein du CNRD.
Leur jugement traîne parce que les preuves entre autres détenues contre certaines de ces personnalités ne sont pas suffisantes pour organiser un procès.
Les faucons de Conakry
Si une personne est souvent citée par le Premier ministre comme son plus grand soutien durant son mandat à la tête de l’exécutif, c’est pourtant bien le colonel Mamadi Doumbouya. Mais certains dans son entourage pèsent beaucoup plus dans les prises des décisions.
Ces derniers voyaient d’un mauvais œil le dialogue politique et les concertations nationales qu’initiait le chef du gouvernement pour qui, “aucune action n’est bonne sans la réconciliation”.
Ils vont jusqu’à l’accuser de précipiter la fin de la transition. Ils réussiront finalement par faire échouer le dialogue politique inclusif en refusant certaines garanties exigées par l’opposition.
En réalité, “Mohamed Beavogui n’a jamais caché son souhait d’avoir une transition courte, apaisée, débouchant sur des élections démocratiques dans une approche inclusive par le dialogue”, a confié un proche de Mamadi Doumbouya avant d’ajouter qu’”il en avait presque fait des conditions pour son retour à Conakry. Mais en quittant Conakry pour Rome, Doumbouya savait qu’il pourrait ne plus revenir”.
Il est aussi reproché à Mohamed Beavogui de chercher à collaborer avec la Cédéao, au risque de voir les 36 mois de transition, promis par la junte, diminués de près de la moitié. “Dans ces conditions, il devient impossible pour lui de travailler dans la sérénité”, a confié l’un des proches du Premier ministre.
Beaucoup redoutent en effet que même en proposant 36 mois de transition, le CNRD ne songerait pas à quitter le pouvoir, du moins pas si tôt.
Parmi les durs du CNRD, le nom qui revient souvent est celui du ministre directeur de cabinet à la présidence, Djiba Diakité, un ingénieur en recherche de marchés financiers. Certains le surnomment le vice-président.
Il serait l’ordonnateur de la plupart des nominations à la tête des institutions étatiques : les traditionnels longs communiqués de nomination lus au journal de 20h de la télévision nationale. Le Premier ministre lui aussi apprend certaines des nominations à la télévision tout comme les autres Guinéens.
Le départ de Mohamed Beavogui ouvre donc une nouvelle page d’incertitude politique en Guinée. En témoigne la récente répression des manifestations de l’opposition et de la société civile à Conakry qui a fait officiellement cinq morts.
Ces violences ont contribué à éloigner encore plus Mohamed Beavogui du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), voire de la Primature.
DW