Qu’est-ce qui a motivé l’administration minière à instituer un prix de référence pour la vente de la bauxite en Guinée ?
Yakhouba Kourouma : L’idée est partie d’un constat très pertinent sur lequel, Monsieur le Ministre des Mines et de la Géologie a été très vigilant. En effet, dès janvier 2022, le Ministre des Mines et de la Géologie avait instruit de faire une analyse sur les exonérations fiscales accordées aux sociétés minières en production. En exploitant les données minières et économiques que nous avons obtenues, nous avons très vite compris qu’il y avait un sérieux problème sur le niveau de prix pratiqué par les sociétés minières. Sans citer le nom d’une société, les données révélaient par exemple que la A pratiquait un prix de 9 dollars US la tonne, la société B pratiquait un prix de 11 dollars US la tonne, la société C pratiquait un prix de 13 dollars US la tonne, la société D pratiquait un prix de 26 dollars US la tonne, jusqu’à la société X qui pratiquait un prix de 42 dollars US la tonne. Donc le niveau de prix était très disproportionné et très variable d’une société à une autre.
En prenant en compte la sous-évaluation du prix de la bauxite, combinée aux exonérations fiscales accordées aux sociétés minières qui étaient la base de mon analyse, les pertes de recettes étaient estimées à environ 250 millions de dollars US au titre de l’exercice 2019 et d’environ 350 millions de dollars US au titre de l’exercice 2020.
Sur la base de ce constat, trois (3) recommandations ont été faites dans le rapport d’analyse :
- Premièrement, il était question d’exiger aux sociétés minières d’appliquer le prix du marché pour la vente de la bauxite ;
- Deuxièmement, de catégoriser les exonérations en fonction du niveau d’investissement dans le projet. Là également, quand on fait la cartographie des exonérations fiscales accordées aux sociétés minières, on constate aisément qu’on a été trop généreux dans l’octrois des exonérations alors que cela devrait être basé sur des analyses rigoureuses de la rentabilité économique des projets ; et
- Troisièmement, de faire un audit fiscal et règlementaire dans le secteur minier.
Monsieur le Ministre des Mines et de la Géologie a pris les conclusions de ce rapport d’analyse sur les principales causes de pertes de recettes minières en Guinée avec beaucoup de sérieux et d’attention. C’est pourquoi, à la suite du passage de la mission du FMI au titre de la revue sectorielle du deuxième trimestre de l’année 2022, il a été décidé au Conseil des Ministres, sur instruction du Président de la République, Chef de l’État, Chef suprême des forces armées, Colonel Mamadi DOUMBOUYA, d’élaborer une note technique et un projet d’arrêté sur le prix de référence applicable à la vente de la bauxite en République de Guinée.
Les différents Ministères concernés, notamment le Ministère en charge des mines, le Ministère du Budget et le Ministère en charge de l’Économie ont travaillé durant des semaines et de manière intense pour produire une version plus aboutie du projet d’arrêté sur le prix de référence applicable à la vente de la bauxite en Guinée. Cette version aboutie du projet d’arrêté a fait également l’objet de circulation auprès des PTF pour recueillir leurs avis afin de s’assurer que tous les éléments pertinents ont été pris en compte pour mieux sécuriser les dispositions règlementaires prévues dans le projet d’Arrêté conjoint sur le prix de référence de la bauxite en Guinée. La version stabilisée dudit projet d’Arrêté a fait l’objet de signature par les Ministres des mines, du budget et des finances en date du 06 juillet 2022, sous une attention particulière du Chef de l’État, Colonel Mamadi DOUMBOUYA.
L’Arrêté conjoint signé et validé par l’État a également fait l’objet d’une présentation officielle devant les responsables de toutes les sociétés minières opérant dans le secteur de la bauxite en Guinée, et en présence des hautes autorités de l’État, notamment le Ministre Secrétaire Générale à la Présidence de la République, le Colonel Amara CAMARA et le Ministre Directeur de cabinet à la Présidence de la République, Monsieur Djiba DIAKITÉ.
À date, un courrier de notification est adressé à toutes les sociétés minières concernées pour les informer de la prise d’effet de l’Arrêté conjoint sur le prix de référence de la bauxite à compter du 1er septembre 2022.
Maintenant, il est important de rappeler que cet Arrêté conjoint est une innovation importante dans le secteur minier qui va apporter une sécurité juridique accrue à l’industrie minière de la Guinée, car par le passé, il n’y avait aucune base juridique à l’approbation du prix déclaré ou soumis par les sociétés minières pour la vente de la bauxite. À rappeler aussi que les premières simulations économiques montrent que l’Arrêté sur le prix de référence de la bauxite a un potentiel de mobilisation d’environ 1 milliards de dollars US en 2023.
Pourquoi le choix de CBIX comme indice de référence pour la détermination du prix de vente de la bauxite guinéenne ?
Trois (3) raisons expliquent le choix de CBIX comme indice international de prix de référence de la bauxite en Guinée :
- Premièrement, c’est un indice qui est internationalement reconnu et largement cité par les Experts en la matière. Il fournit au quotient les tendances des prix de vente de la bauxite sur le principal marché mondial de commercialisation de la bauxite, qui est aujourd’hui la Chine ;
- Deuxièmement, l’Index Guinea LT créé par CBIX sur le marché chinois reflète bien la composition chimique de la bauxite de type guinéenne, notamment une teneur de 45% en Alumine et de 3% en Silice. Sur le même point, il faut rappeler que l’Australie et l’Indonésie qui font partis des plus grands producteurs de bauxite au monde ont également leur propre index au même que la Guinée, coté sur CBIX en Chine ; et
- Troisièmement, la majorité des producteurs de bauxite en Guinée, soient les 80% vendent leur bauxite sur le marché chinois.
Est-ce que les sociétés sont tenues de vendre leur bauxite, exactement, au prix de référence ou elles peuvent la vendre à des prix plus élevés pour faire plus de profit?
La réponse est oui. Le prix de référence, si vous voulez, c’est un prix plancher, c’est-à-dire le minimum qu’une société évoluant dans le secteur de la bauxite ne doit pas franchir. Les sociétés minières peuvent vendre leur bauxite à des prix plus élevés pour faire plus de profit. Par contre, toute société qui estime que sa bauxite peut être vendue à un prix inférieur au prix de référence, doit fournir à la Direction Générale des Impôt, avec copie transmise au Ministère des Mines et de la Géologie, l’ensemble de la documentation complète justifiant un tel niveau de prix. Il reviendra à la DGI à la suite d’une analyse rigoureuse de la requête formulée par la société d’approuver ou non le prix de vente de la bauxite déclaré par la société. Mais tant que la bauxite peut être vendue par la société au prix égal ou supérieur au prix de référence institué par l’État, il n’y a aucun problème avec la société concernée.
Qu’en est-il des autres sociétés qui vendent leur bauxite en dehors du marché chinois – est-ce que le prix de référence s’applique à ces sociétés ?
Le prix de vente s’applique à toutes les sociétés évoluant dans le secteur de la bauxite en Guinée, peu importe le marché de commercialisation de la bauxite. Ce qui reste clair, les 80% des sociétés minières évoluant dans le secteur de la bauxite en Guinée vendent leur bauxite en Chine, qui est devenue aujourd’hui le principal marché de commercialisation de la bauxite au monde. Même la CBG qui vend sa bauxite dans un marché différent de la Chine, renvoie une partie de sa bauxite vers la Chine. Donc le CBIX est l’index le plus transversal et le mieux adapté à la majorité des sociétés minières évoluant en Guinée pour refléter les conditions actuelles du marché de vente de la bauxite provenant de la Guinée.
Comment l’administration minière procédait par le passé pour fixer le prix de la bauxite ?
C’est une bonne question. En réalité, il n’y avait pas de base et c’est la question que nous nous posions à savoir comment l’administration procédait pour valider les prix déclarés par les sociétés. L’administration se contentait simplement des déclarations faites par les sociétés elles-mêmes pour la vente de leur bauxite, il n’y avait aucune base légale pour l’approbation des prix de vente déclarés par les sociétés minières. C’est ce qui a occasionné le niveau très disproportionné des prix de vente de la bauxite constaté avec les sociétés minières exploitant la même substance, parfois dans les mêmes zones. Le prix de référence institué par l’arrêté conjoint pour la vente de la bauxite en République de Guinée, vient désormais régler ce traitement inéquitable entre les sociétés minières.
Qu’elle est la différence entre l’Arrêté conjoint sur le prix de référence de la bauxite et l’Arrêté conjoint sur le régime de déclaration simplifié pour le paiement de la taxe minière, institué par vos prédécesseurs en 2020 ?
Il y a une grande différence sur les deux (2) dispositions légales. L’arrêté conjoint portant sur le régime de déclaration simplifiée pour le paiement de la taxe minière concerne uniquement le calcul de la taxe minière à l’extraction et à l’exportation. C’est un travail qui est à l’actif de l’ancienne équipe du Ministère des Mines et de la Géologie et qu’il faut bien saluer, car ils sont parvenus à aligner la formule de calcul pour le paiement de la taxe minière au prix LME de l’aluminium, qui est aussi un indicateur internationalement reconnu. Ce qui limite les possibilités de manipulation pour compresser l’assiette fiscale de la taxe minière. La seule manipulation possible à date sur le paiement de la taxe minière concerne la qualité du minerai de bauxite. Les sociétés minières en réduisant la qualité, peuvent réduire l’assiette fiscale de la taxe minière et finalement, réduire le montant de la taxe à payer.
Concernant l’arrêté conjoint sur le prix de référence, il porte sur le niveau de prix de la bauxite brute qui rentre dans le calcul du chiffre d’affaires de la société. C’est un élément de sécurité juridique accrue pour éviter des manipulations sur le prix de vente de la bauxite. Une fois que ce prix sera stabilisé, la deuxième étape consistera à sécuriser le coût d’opération des sociétés minières pour qu’après toutes les déductions des coûts directs et charges fiscales du chiffre d’affaires, que l’État ait sa juste part du revenu tiré du secteur minier.
Vous savez dans la pratique, les sociétés minières ont tendance généralement à compresser les prix de ventes du minerai et gonfler les coûts pour réduire ou éroder complètement la marge bénéficiaire ou la base d’imposition fiscale et échapper finalement au paiement de l’impôt sur les sociétés, appelé IS. Cette pratique conduit généralement les sociétés minières à déclarer des bilans négatifs à la fin de l’exercice comptable pour échapper au paiement de l’impôt sur le bénéfice qui est la principale imposition fiscale du Code minier de la République de Guinée avec un taux de 30% dans le secteur minier.
Quelles sont les principaux acquis et les perspectives du Ministère des Mines et de la Géologie depuis l’arrivée du CNRD au pouvoir ?
En termes d’acquis, il faut rappeler d’abord que le département, sous la clairvoyance de Monsieur Moussa MAGASSOUBA, Ministre des Mines et de la Géologie et le leadership du Président de la République, Chef de l’État, Chef suprême des forces armées, Colonel Mamadi DOUMBOUYA, a pu réaliser deux (2) succès ou victoires historiques dans le projet Simandou :
- La première victoire a été le fait de ramener les deux (2) sociétés sur la même table de négociation et cela, avec l’insistance du Président de la République, Colonel Mamadi DOUMBOUYA, car par le passé, les deux (2) sociétés n’avaient jamais acceptés de discuter ensemble pour la mise en œuvre du projet Simandou, à travers la signature de l’accord-cadre pour la co-entreprise, c’est-à-dire le Co-investissement et le Co-développement dans les infrastructures en date du 25 mars 2022 ;
- La deuxième victoire a été de faire obtenir pour l’État, à travers la signature du statut de la co-entreprise en date du 27 juillet 2022, une participation gratuite de 15% dans les infrastructures ferroviaire et portuaire du projet Simandou et cela, malgré le caractère sensible qui était lié à certaines décisions portant sur l’arrêt des travaux des deux (2) sociétés minières Rio Tinto et Winning Consortium Simandou. C’est une victoire historique et inédite dans la gouvernance minière du pays, qui marque une étape importante pour la mise en œuvre du projet Simandou dans l’intérêt supérieur de la Nation.
- Également, grâce au leadership du Colonel Mamadi DOUMBOUYA, Président de la République et la vigilance de Monsieur le Ministre des Mines et de la Géologie, les sociétés minières ayant pris des engagements dans leurs conventions de base pour la construction des raffineries d’alumine en Guinée ont été rappelées à honorer leurs engagements en soumettant des chronogrammes précis et réalistes pour la construction des raffineries d’alumine.
- Dans le cadre de la maximisation des recettes minières de l’État et comme rappelé précédemment, l’arrêté portant institution d’un prix de référence applicable à la vente de la bauxite en République de Guinée est une innovation inédite dans le secteur minier qui a un potentiel de mobilisation d’environ 1 milliards de dollars US en 2023. Sur le même volet de la maximisation des recettes minières, l’application de l’article 138-III relatif à la commercialisation du minerai à des prix de pleine concurrence par le Ministère des Mines et de la Géologie, a permis à la SOGUIPAMI de mobiliser environ 12 mille milliards GNF de recettes minières en trois (3) mois d’exercice, presqu’équivalent à l’objectif annuel assigné à la douane pour la mobilisation de recettes douanières.
- Sur le plan assainissement du cadastre minier, à date, il y a 60 permis de recherche, y compris les autorisations d’exploitation de carrières permanentes, inactifs et non conformes, qui ont fait l’objet de retrait par Monsieur le Ministre des Mines et de la Géologie. Il y a eu également le contrôle et l’évaluation de 163 permis de recherche et l’identification de 45 permis dont 11 pour la bauxite et 34 pour l’or devant recevoir une mise en demeure dans les jours qui suivent. Il faut souligner que l’assainissement du cadastre minier se poursuit encore et c’est l’un des axes prioritaires de la feuille de route assignée au Ministère des Mines et de la Géologie dans le cadre notre Plan d’action opérationnel de 2022.
- Sur le plan des exportations minières, le Ministère des Mines et de la Géologie reçoit désormais les prévisions trimestrielles sur les exportations minières des sociétés pour la réconciliation entre les prévisions et ce qui a été effectivement exporté. Également, sous la vigilance de Monsieur le Ministre, les agents formés grâce à l’appui de la GIZ sur le contrôle de la quantité et la qualité des produits miniers à l’exportation sont déployés dans tous les ports miniers du pays pour contrôler la quantité des minerais qui sort du territoire guinéen.
- En termes de perspectives, nous avons des défis importants à relever, notamment la construction d’un Laboratoire national de la géologie de référence international pour certifier la qualité des minerais qui sort du territoire guinéen. Il faut préciser que la qualité du minerai est un paramètre clef qui intervient non seulement dans le calcul de la taxe minière mais aussi le prix de référence de la bauxite. La maîtrise parfaite de la qualité et la quantité du minerai qui sort du territoire guinéen, permet de sécuriser considérablement les revenus miniers de la Guinée.
- Le Ministère des Mines et de la Géologie est actuellement en discussion avancée avec les partenaires techniques et financiers pour doter la Guinée d’un laboratoire national moderne de la géologie de référence internationale et aussi, investir dans la recherche géologique à l’échelle 1/50 000 pour l’amélioration de la connaissance géologie du sous-sol de la Guinée.
- Grâce à l’appui technique et financier de la GIZ, 28 agents du bureau des évaluateurs ont été formés sur la méthode Draft Survey ou du Tirant d’eau, internationalement reconnue dans le cadre du contrôle de la quantité et qualité des produits miniers destinés à l’exportation. Sous la gouvernance du Ministre des Mines et de la Géologie, Monsieur Moussa MAGASSOUBA, ce bureau des évaluateurs a été érigé en Direction Générale compte tenu de son importance sur la sécurisation des revenus miniers. Et l’objectif à présent est de rehausser ce nombre à 100 Agents avec l’appui et le soutien direct du Président de la République pour le contrôle accru des produits miniers à l’exportation.
- En termes de suivi des projets miniers, le Ministère des Mines et de la Géologie travaille activement pour l’opérationnalisation effective de toutes les directions préfectorales des mines à l’intérieur du pays, en plus des missions de contrôles et de suivi qui se font de plus en plus fréquentes. Pour Monsieur le Ministre des Mines et de la Géologie, l’administration minière doit être fortement représentée à l’intérieur du pays pour le suivi rigoureux des sociétés et projets miniers évoluant dans toutes les préfectures de la Guinée.
Service Communication et Relations Publiques du Ministère des Mines et de la Géologie