L’Assemblée générale de l’ONU a adopté, mercredi 2 mars, une résolution qui « exige que la russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine », lors d’un vote approuvé massivement, cinq s’y opposant et trente-cinq, dont la chine, s’abstenant, sur les 193 membres que compte l’organisation internationale. Les cinq pays ayant voté contre sont la Russie, la Biélorussie, la Corée du Nord, l’Érythrée et la Syrie.
Les résolutions de l’Assemblée générale n’ont aucun caractère contraignant, contrairement à celles du Conseil de sécurité. Mais elles ont une portée symbolique importante sur le plan de la politique internationale. Alors que jusqu’ici, il semblait difficile de sonder l’Afrique, à l’issue du vote, des divisions sont apparues au grand jour. Et pourtant, c’est peu de dire que la voix de l’Afrique compte à l’Assemblée générale des Nations unies, le continent occupant 25 % des sièges. Qui a voté pour ou contre et qui s’est abstenu ? Éléments de réponses.
Les raisons d’un vote dispersé
Si la résolution a été adoptée à une écrasante majorité avec 141 votants pour, un certain nombre de pays africains figuraient parmi les 35 qui se sont abstenues lors du vote : l’Afrique du Sud, le Mali, le Mozambique, la République centrafricaine, l’Angola, l’Algérie, le Burundi, Madagascar, la Namibie, le Sénégal, le Soudan du Sud, le Soudan, l’Ouganda, la Tanzanie et le Zimbabwe.
L’Érythrée, quant à elle, était l’un des cinq seuls pays à voter activement contre la résolution, aux côtés de la Russie, de la Biélorussie, de la Syrie et de la Corée du Nord. Parmi ces pays, nombreux sont ceux qui sont des alliés de longue date de Moscou, comme l’Algérie. En règle générale, plus les liens avec la Russie sont étroits sur le plan militaire, économique et politique, plus les réponses africaines sont susceptibles d’être modérées, expliquent les experts.
Dans d’autres cas, l’actualité brûlante de la guerre en Ukraine et surtout le rôle de l’Otan n’est pas sans rappeler les divisions qui ont dominé l’intervention de l’organisation sous le mandat du Conseil de sécurité de l’ONU contre le régime de Mouammar Kadhafi en 2011. Pour plusieurs États africains, cette opération avait brouillé les pistes entre « la protection des civils » et le renversement de régime. Pour ces derniers le débat est aujourd’hui, encore d’actualité.
Pour une autre catégorie de pays, le rapprochement avec la Russie est plus récent, ils ont donc tout intérêt à ménager leur nouvel allié. En effet, au cours des dernières années, la Russie a noué un certain nombre d’alliances militaires avec des gouvernements africains confrontés à des insurrections violentes ou à une instabilité politique, notamment la Libye, le Mali, le Soudan, la République centrafricaine et le Mozambique.
L’importance de ces liens a semblé peser dans la manière dont ces pays réagissent et votent. Illustration par deux cas : la veille de l’invasion russe, mercredi dernier, Mohamed Hamdan Dagalo, chef adjoint de la junte militaire soudanaise, conduisait une délégation à Moscou, pour faire avancer l’accord sur la création d’une base navale russe au Soudan. Abritée à Port-Soudan, elle pourra accueillir jusqu’à 300 soldats russes ainsi que quatre navires militaires, dont un navire à propulsion nucléaire. En Centrafrique, c’était une statue érigée pour célébrer les hommes de Wagner, qui faisait la Une.
La carte de « La tradition de non-alignement »
En revanche, le choix de l’abstention d’un pays comme le Sénégal, en a surpris plus d’un. « Le Président de la République a exprimé sa grave préoccupation face à la situation en Ukraine. (?) il a réitéré l’attachement du Sénégal au respect de l’indépendance et de la souveraineté des États, ainsi qu’à l’application sans discrimination des règles du droit international humanitaire, notamment en situation de conflit. Il a également réaffirmé l’adhésion du Sénégal aux principes du Non-Alignement et du règlement pacifique des différends », peut-on lire dans un communiqué publié par Dakar, à l’issue d’un Conseil des ministres tenu mercredi. Et pour cause, les explications avancées par le pays restent conformes à une position historique de l’Afrique, relevant de « la tradition de non-alignement », dans les conflits internationaux, héritée de la Guerre froide.
Selon certains observateurs, le Sénégal affiche aussi sa réserve suite aux nombreux témoignages d’actes racistes à l’endroit des ressortissants Africains débarqués des trains ou des bus, ou refouler aux frontières de l’Union européenne. Le président sénégalais, Macky Sall actuellement à la tête de l’Union africaine a haussé le ton en qualifiant de « choquant et raciste » l’éventualité d’appliquer un « traitement différent inacceptable » aux réfugiés africains fuyant la guerre en Ukraine, dans un communiqué publié le 28 février.
Le Maroc absent
D’autres pays africains dont le Cameroun, le Togo ou encore le Maroc, n’ont pas pris part au vote. Le royaume chérifien a dû s’en expliquer, à travers un communiqué. Le Maroc a dit avoir pris une décision « souveraine » qui « ne saurait faire l’objet d’aucune interprétation par rapport à sa position de principe concernant la situation entre la Fédération de Russie et l’Ukraine ». Tout en assurant « suivre avec inquiétude et préoccupation l’évolution de la situation » et « regrette l’escalade militaire ». Escalade militaire : l’expression utilisée par le royaume en lieu et place « d’invasion » communément employé depuis jeudi dernier a fait réagir, notamment sur les réseaux sociaux. Le royaume rappelle malgré tout son « fort attachement au respect de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’unité nationales de tous les États membres des Nations unies », au « règlement des différends par des moyens pacifiques et selon les principes du droit international », et appelle à « l’intensification du dialogue et de la négociation ».
Le Kenya dresse un parallèle avec le colonialisme européen
Cependant, il ne faudrait pas trop vite oublier que 28 pays africains ont voté favorablement la résolution de l’ONU. Le 22 février, avant même que la Russie ne lance son invasion de l’Ukraine, l’envoyé kenyan de l’ONU, Martin Kimani, a adressé une cinglante réponse à Moscou, dans une allusion directe au colonialisme européen. « Le Kenya et presque tous les pays africains sont nés de la fin de l’empire. Nous n’avons pas nous-mêmes dessiné nos frontières. Elles ont été tracées dans les métropoles coloniales lointaines de Londres, Paris et Lisbonne sans égard pour les anciennes nations qu’elles ont séparées », avait-il déclaré aux délégués. Selon lui, les nations africaines ont choisi de regarder vers l’avant plutôt que de « former des nations qui regardent toujours en arrière dans l’histoire avec une dangereuse nostalgie ». « Nous avons choisi de suivre les règles de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) et de la charte des Nations unies, non pas parce que nos frontières nous satisfaisaient, mais parce que nous voulions quelque chose de plus grand forgé dans la paix », a ajouté Martin Kimani. Ce message a été largement salué et relayé dans le monde entier.
Harold Agyeman, représentant permanent du Ghana au Conseil de sécurité de l’ONU, a déclaré que le Ghana se tenait aux côtés de l’Ukraine à la suite de l’attaque « non provoquée », et le ministre nigérian des Affaires étrangères, Geoffrey Onyeama, a avancé que le Nigeria était prêt à imposer des sanctions à la Russie et s’y conformerait à la résolution de l’ONU.
L’Afrique fait les frais de la stratégie de la Russie sur le continent
Ces divisions exposées au grand jour résultent également de la stratégie déployée par la Russie ces dernières années sur le continent. La Russie paraît très sélective par rapport aux pays avec lesquels elle noue des liens, avec un choix d’investir de pays souvent dirigés par des militaires, ou à fortes ressources naturelles. Une approche qui tranche avec la Chine, et qui favorise les positions individuelles observées ces jours-ci sur le cas de l’Ukraine. Et pourtant, le continent africain, par la voix de l’Union africaine cherche à peser au sein de l’ONU, et à maintes reprises, l’UA a fait valoir le respect des normes internationales de souveraineté et d’intégrité territoriale comme faisant partie intégrante des objectifs de l’Afrique pour peser sur la scène internationale.
Avec le Point