Conseil de l’Union européenne,
175, Rue de la Loi,
B-1048 Bruxelles, Belgique
Aff. FRONT NATIONAL POUR LA DEFENSE DE LA CONSTITUTION (FNDC)
Objet : Gel des avoirs, interdiction de voyages et/ou déplacements, rapatriement des familles
Mesdames, Messieurs les membres du Conseil de l’Union européenne,
Nous avons l’honneur de vous écrire en qualité de Conseils des membres du FRONT NATIONAL DE DEFENSE DE LA CONSTITUTION guinéen (ci-après le « FNDC »), mouvement citoyen créé le 3 avril 2019 et réunissant les principaux partis d’opposition, des organisations de la société civile et des syndicats, qui compte parmi ses membres M. Adourahamane SANO, M. Sékou KOUNDOUNO, M. Ibrahima DIALLO, M. Oumar Sylla. Ce Front a notamment pour objectif de dénoncer toutes les formes de violation de la Constitution, des lois de la République et d’œuvrer à la réunion de conditions idoines pour l’organisation d’élections transparentes, libres et justes. Le 22 mars 2020, s’est tenu en République de Guinée un double scrutin aux fins, d’une part, de renouveler le mandat de l’Assemblée nationale, venu à terme le 28 décembre 2019, d’autre part, d’adopter par voie référendaire une réforme constitutionnelle dans le seul but de permettre au Président Alpha CONDE de briguer un troisième mandat à l’élection présidentielle d’octobre 2020, ce que la Constitution lui interdisait, en application au surplus, d’une règle commune adoptée par la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest – la CEDEAO dont la Guinée est membre.
Elu dans des conditions controversées, pour la première fois le 7 novembre 2010, il sera réélu le 10 octobre 2015.
Dans un rapport rendu public le 13 novembre 2019, l’ONG Amnesty International a souligné qu’au cours de cette période, plus de 200 personnes avaient été tuées et des milliers d’autres blessées lors de manifestations politiques ou sociales en Guinée.
La violence excessive des forces de l’ordre, forces armées, de gendarmerie et de polices confondues, exercée dans la plus totale impunité, et la répression y afférente se sont amplifiées depuis le mois d’octobre 2019. Malgré les avertissements unanimes de la communauté internationale dénonçant le fait que les conditions d’organisation de ce double scrutin constitueraient une violation grave des règles démocratiques d’un Etat de droit, les autorités guinéennes, contre toute raison, en maintenaient le principe et la tenue.
En effet, le droit de suffrage a pour corollaire, dans la conception de la démocratie pluraliste, la tenue d’un scrutin garant de la libre expression de l’opinion du peuple, ce qui implique que le fichier électoral, qui en est l’assise matérielle, reflète fidèlement le corps des citoyens en droit de voter et d’être consultés dans le cadre d’élections et/ou d’un suffrage. L’Organisation Internationale de la Francophonie (ci-après le « OIF ») a contrôlé la compatibilité du fichier électoral, géré par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), avec l’intégrité et l’effectivité de la procédure électorale concernant le double scrutin.
Le 22 mars 2020, contre toute raison – situation politique intérieure tendue à l’extrême, propagation du coronavirus, condamnations internationales – les autorités guinéennes organisaient le double scrutin.
Il se déroulera en milieu clos, hors la présence d’observateurs neutres aptes à contrôler que le fichier électoral avait été effectivement épuré. Cette exigence d’un contrôle neutre et objectif de l’état réel du fichier électoral était d’autant plus nécessaire que l’OIF avait affirmé dans son rapport que « la CENI ne dispose pas d’une structure technique professionnelle indépendante des aléas politiques ».
Le bilan des violences électorales et post électorales du double scrutin contesté est très lourd :
• Au moins douze morts à Conakry,
• Des blessés en grand nombre,
• Une cinquantaine de morts avec présence de charniers à N’zérékoré.
Ce bilan a pour cause l’usage d’une force excessive, indue et illégale par les unités de l’armée, de la gendarmerie et de la police qui n’hésiteront pas à tirer à balles réelles sur les opposants au double scrutin.
A l’origine de ce climat de guerre civile et de violences, on trouve les déclarations du chef de l’Etat et des représentants de la mouvance présidentielle qui ont multiplié depuis le mois d’octobre les appels à la violence, aux divisions et aux confrontations ethniques comme à N’zérékoré.
Dans un tel contexte, les résultats de ce double scrutin sont dénués de toute crédibilité. Le manque total de sérieux de cette consultation été dénoncé par la France et l’Allemagne dans une déclaration commune, l’Union européenne et les Etats Unis dont l’Ambassade en Guinée a souligné : « à la lumière de nos observations et au regard des rapports du gouvernement faisant état de la fermeture et de la destruction de bureaux de vote, le taux de participation – 61,18 % – et les résultats proclamés – 91,59 % de oui au projet de réforme constitutionnelle –suscitent des interrogations portant sur la crédibilité du scrutin ».
Il en résulte que depuis le mois d’octobre 2019, les homicides commis à grande échelle dans le cadre d’une répression meurtrière, les disparitions forcées, les attaques systématiques et généralisées, sur la base de critères ethniques, contre la population civile sont autant de crimes contre l’humanité tels qu’incriminés par le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (ci-après le « CPI »).
Les actes de violence et d’intimidation commis contre les journalistes, les professionnels des médias et les représentants de la société civile, ainsi que les détentions arbitraires constituent également des violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme et il sera rappelé ici que la République de Guinée figure à la 101ème place sur 180 pays au classement de la liberté de la presse de 2019.
En avril 2020, nous avons saisi la Cour pénale internationale concernant des persécutions visant tout particulièrement le FNDC et ses partisans, fondées sur des considérations politiques et ethniques, susceptibles, selon nous, de justifier la qualification de crimes contre l’humanité.
En juillet 2020 et aujourd’hui, nous écrivions à nouveau à la CPI pour faire état des appréhensions du FNDC quant à la survenance de nouvelles violences, compte tenu notamment de l’absence d’enquête indépendante portant sur les conditions de la répression des manifestations. L’élection présidentielle avait, vous le savez, été fixée au 18 octobre 2020. Selon les résultats rendus publics par la Commission électorale nationale indépendante, le chef de l’État sortant aurait remporté le scrutin du 18 octobre dès le premier tour dans les conditions décrites précédemment.
A ces éléments doit s’ajouter le constat de graves violences qui se sont encore intensifiées à la suite du scrutin. Dans une communication en date du 25 octobre 2020, Amnesty a révélé l’existence de récits de témoins, des vidéos et images satellites analysés confirmant les tirs à balles réelles par les forces de défense et de sécurité sur des manifestants.
Il y a lieu d’observer que, notamment dans une communication datant d’avril 2020,
l’organisation Human Rights Watch affirmait : « les forces de sécurité ont réprimé dans la violence des partisans de l’opposition avant et pendant la tenue, le 22 mars 2020, du référendum constitutionnel et des élections législatives ».
Il se déduit ce qui précède qu’un certain nombre de membres de la société civile ont dénoncé les graves violences survenues en Guinée. Cette situation est d’autant plus incompréhensible que de nombreuses organisations et instances internationales avaient condamné de précédentes violences et les atteintes portées aux libertés publiques.
Le 25 mars 2020, les Etats-Unis avaient déjà condamné les violences liées au référendum constitutionnel en Guinée.
En février 2020, le Parlement européen avait déploré les violences actuelles dans le pays et condamné fermement les atteintes à la liberté de réunion et d’expression, ainsi que les actes récents de violence commis par les forces de sécurité contre des manifestants politiques, les meurtres et les autres violations des droits de l’homme. Les craintes de nouvelles violences électorales sont redoublées devant la volonté du pouvoir en place de se maintenir en dépit de la contestation populaire et des accusations de graves irrégularités dans le processus électoral au bénéfice de Monsieur Alpha CONDE. Si nous vous écrivons, c’est pour dénoncer au nom du FNDC les exactions qui ont été commises par le pouvoir en place et pour vous faire part des très profondes inquiétudes du FNDC devant la possible survenance de nouvelles violences dans un climat qui proche de la guerre civile. Vous avez montré votre volonté par le passé conformément à la tradition de vos Etats de condamner ou en tous les cas de dire votre désapprobation quand des principes fondamentaux et droits humains étaient violés de façon systématique. Il n’est pas possible d’accepter la perpétuation de tels faits sauf à considérer que certaines autorités publiques peuvent impunément s’exonérer des obligations impératives tirées des règles et des principes de l’ordre public international.
Selon les informations en possession du FNDC, les responsables de la situation actuelle et des crimes commis au cours de la période considérée apparaissent comme étant :
• Dr Ibrahima Kassory Fofana Premier Ministre/Chef du Gouvernement, Naby Youssouf Kiridi Bangoura Secrétaire général de la Présidence, Tibou Camara conseiller spécial de monsieur Alpha Condé, Moustapha Naité ministre des travaux publics, Baidy Aribot 2ème vice-gouverneur de la BCRG, Général Toumany Sangaré Directeur Général de la Douane, Aboubacar Sylla Ministre des transports/porte-parole du gouvernement, Amara Somparé Ministre de la communication, Mohamed Lamine Bangoura Président de la cour constitutionnelle, pour, d’une part, avoir planifié la tenue du double scrutin, d’autre part, en avoir organisé la fraude en sachant qu’il y avait des raisons de savoir qu’en application de la politique de son gouvernement des crimes et des violences illégitimes seraient commises contre les citoyens membres du FNDC à cette double consultation.
• Dr Mohamed DIANE, Albert Damantang CAMARA, Mory Doumbouya, le Général
Boureima CONDE, respectivement Ministre de la défense nationale, Ministre de la
sécurité, Ministre de l’administration du territoire qui, chacun en ce qui les concerne, ont exercé et exercent, en leur qualité respective, des fonctions hiérarchiques sur les forces militaires et de sécurité disposant à ce titre, de facto et de jure, de donner des ordres afin de prévenir des infractions commises par ces forces et d’en sanctionner les auteurs, ce qu’ils se sont volontairement abstenus de faire.
• Amadou Damaro CAMARA, Membre du RPG ARC EN CIEL, Makissa Camara Directeur national des impôts, Papa Koly Kourouma ministre de l’hydraulique, Malick Sankhon Directeur Général CNSS dont les déclarations publiques ont aidé et encouragé les décisions ethniques à l’origine desquelles des crimes et violences ont été planifiés notamment dans les villes de Nzérékoré, Conakry, Fria, Boké. Dans les faits, il est de l’ordre de l’évidence que les autorités guinéennes se sont affranchies, avec un rare mépris, des conseils, recommandations et avertissements prodigués notamment par les Nations-Unies, l’Union européenne, les ambassades des Etats-Unis et de la France, dans une déclaration commune du 5 novembre 2019, et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, qui a relevé, de son côté, notamment que, dès les 14 et 15 octobre 2019, les forces de sécurité « n’ont pas respecté les normes et standards internationaux en matière d’usage de la force ». Les manifestations contre le troisième mandat ont été réprimées dans le sang faisant près d’une centaine de morts sans qu’aucune enquête ne soit diligentée pour identifier et sanctionner les auteurs de ces crimes. Par voie de conséquence, il convient désormais pour prévenir les violations futures des droits de l’homme de punir les responsables de ces actes répréhensibles, aux fins de les contraindre à respecter les obligations qui leur incombent en vertu du droit international, y compris le droit international humanitaire, le droit des droits de l’homme et des instruments internationaux (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Pacte international des droits civils et politiques, Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, Accords de Cotonou) qui en assurent la protection.
Ainsi donc, le FNDC demande au Conseil de l’Union européenne de prononcer le gel des avoirs qui sont détenus ou contrôlés, directement ou indirectement par les personnes désignées ci-dessus et en annexe ou par des personnes ou entités agissant pour leur compte ou sous leurs ordres, ou par des entités détenues ou contrôlées par eux et de leur interdire tout voyage et/ou déplacements, quel qu’en soit le motif ou la cause sur le territoire de l’Union. La suspension de la coopération militaire, la suspension de ventes d’armes, de munitions et autres équipements militaires, le rapatriement des familles respectives de ces personnalités qui vivent en demandeur d’asile dans ces différents Etats.
Nous vous joignons une copie de la liste exhaustive de ces personnalités du régime de Monsieur Alpha Condé. Nous restons naturellement à votre disposition pour toute information complémentaire. Nous vous précisons enfin qu’une demande a également été adressée parallèlement au Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Veuillez agréer, Mesdames, Messieurs les membres du Conseil de l’Union européenne, l’expression de notre très haute considération.
Paris, le 24 août 2021
William Bourdon Vincent Brengarth