Les souvenirs restent encore frais dans les esprits des familles de victimes des massacres de Zogota, localité située à 65 kilomètres de la ville de N’zérékoré, en région forestière. Dans ce village, plusieurs personnes ont été tuées en août 2012, des arrestations et de portés disparus. Lors de la 12ème AG virtuelle de l’UFDG du samedi dernier, la cheffe de cabinet du président de l’UFDG, Nadia Nahman est longuement revenue sur ces crimes macabres perpétrés par des forces de l’ordre sur des citoyens de ce village, alors qu’ils étaient en plein sommeil, la nuit. Neuf ans après ces tueries nocturnes, les interrogations sur les raisons qui justifient ces assassinats demeurent toujours.
Voici l’intégralité de l’intervention de la cheffe de cabinet de Cellou Dalein Diallo sur ces massacres qui ont endeuillé des nombreuses familles.
AGVIR N°12- INTERVENTION DE NADIA NAHMAN
Militants et sympathisants,
Chers compatriotes,
Mon intervention va consister à exhumer des souvenirs particulièrement
douloureux pour notre mémoire collective. Bien avant, je dois vous faire un aveu : il ne m’a pas été facile de préparer l’exercice d’aujourd’hui. Pas que je sois d’ordinaire porteuse de nouvelles enthousiasmantes ou réjouissantes. Vous le savez fort bien, le domaine qui m’est assigné est celui de la violation des
droits de l’homme. Mais il s’agit de convoquer l’indicible, l’abominable,
l’horreur, l’odieux. Je vous amène à Zogota explorer ensemble le contenu du rapport élaboré par trois ONG Guinéennes, Pacem in Terris, Avocat sans Frontières Guinée et Mêmes droits pour tous, sur le massacre nocturne qui s’y est produit en août 2012.
Le village de Zoghota, d’une population de 3.800 habitants est situé à 65 km de
la ville de N’Zérékoré et à 14 km du chef-lieu de la Commune Rurale (CR) de
Kobéla. Zoghota est fondé en 1881. Il est souvent qualifié de village mystique.
D’où le nom « zogho ta » qui signifie « chez le prêtre traditionnel ». Il est
ceinturé par le mont « yono » qui ne lui laisse qu’une seule sortie. C’est ce mont
qui fait l’objet du projet d’exploitation minière de la société VALE.
I- Les témoignages et propos recueillis par les trois ONG:
● Les villageois ont témoigné que les contingents sont entrés vers minuit.
Qu’ils se sont butés au bois qui barrait l’entrée du village. C’est pendant
la coupe de ce barrage par les assaillants que les villageois se sont réveillés et, se sentant attaqués, ont commencé à se regrouper. Le chef du village, Nyankoye KOLIE, dirigeait et encourageait les autres à résister et à défendre le village. C’est dans ce contexte qu’il a reçu dans le visage une grenade de gaz lacrymogène à laquelle il a succombé.
● Les villageois regrettent que la mission ministérielle venue de Conakry se
soit limitée à la visite de la cité de la société VALE, sans se soucier de les
rencontrer et de les écouter.
● Ils témoignent avoir entendu de la part des assaillants différents propos en
Kpèlè, Toma, Susu, Malinké comme : « vous vous dites d’un village
mystique, des génies invulnérables » ; « nous allons vous montrer qui
nous sommes ».
● Les villageois disent avoir dénombré une douzaine de véhicules pleins de
corps habillés.
II-Analyse et interprétation des missionnaires et du Coordinateur régional de MDT:
Suite aux constats faits et témoignages susmentionnés, nous, organisations de
défense des droits de l’homme, nous nous posons plusieurs questions :
● Quelles sont les motivations réelles d’une telle intervention ?
● Qui est le véritable ordonnateur de ces massacres : les autorités locales
déconcentrées, la délégation ministérielle présente à N’Zérékoré la nuit
des massacres ou le pouvoir central ?
● Pourquoi attendre minuit pour s’attaquer aux paisibles populations
endormies ?
● Les dégâts causés lors de la grève du mardi, 31 juillet 2012 peuvent-ils
justifier de telles tueries ?
● Pourquoi aucune mission administrative n’a été sur les lieux pour
constater les faits au lendemain des massacres ?
● Pourquoi la délégation ministérielle, largement avertie de ces massacres,
n’a eu le moindre souci de se rendre à Zoghota pour constater les faits
avant de retourner à Conakry ? Y a-t-il plus de souci à se faire pour le
matériel d’une société que pour la vie des citoyens guinéens ?.
En effet, c’est la première fois dans l’histoire de la Guinée que ces Forces de
Défense et de Sécurité lourdement armées et à bord de 12 véhicules remplis font irruption dans un petit village endormi, tirent sur les maisons d’habitation, brûlent des cases et des hangars, lancent des grenades de gaz lacrymogène, profèrent des injures grossières, sèment ainsi la terreur et exécuten sommairement des habitants à balles réelles.
Cette scène macabre, qui donne le sentiment d’une vraie déclaration de guerre d’une armée contre une autre, constitue non seulement une véritable banalisation de la vie humaine, mais aussi une violation grave de l’article 3 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui stipule : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne.» A l’article 5 de la même déclaration d’ajouter : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »
Les missionnaires pensent que ce qui s’est passé à Zoghota est une méthode de gouvernement qui vise à contraindre les citoyens à se taire et à se résigner face aux violations de leurs droits.
Ceux qui soutiendraient l’argument du maintien d’ordre et de l’arrestation des
grévistes, doivent savoir que le moment choisi (minuit et trois jours après la
grève), les moyens utilisés (12 véhicules, la nature des armes, le nombre élevé
de militaires, de gendarmes et de policiers) et les méthodes employées (tirs à balles réelles sur les habitations et les personnes, incendie d’habitations et de hangars, injures publiques et grossières, exécutions sommaires et
extrajudiciaires…) interdisent à toute personne respectueuse des droits humains de soutenir une telle thèse.
Ces massacres sont constitutifs de crimes contre l’humanité au terme de l’article 7 des Statuts de Rome, signés et ratifiés par la Guinée, pour les raisons suivantes:
● Cette attaque nocturne s’est déroulée en temps de paix et contre une
population civile, ethniquement homogène, désarmée et endormie ;
● Les massacres ont été prémédités et planifiés : ces massacres ont eu lieu
trois jours après la grève du mardi 31 juillet 2012 et ce, en dépit d’un
début de négociation ; à cela s’ajoute l’indifférence coupable et notoire
observée par la délégation ministérielle présente à N’Zérékoré la nuit
même des massacres ;
● L’attaque était généralisée et systématique : les tirs dans tous les sens
visant tout le monde dans le village sont la preuve que les assaillants
visaient l’extermination de cette population et l’idée de ne rien laisser en
brûlant en même temps les habitations;
● Il y a eu des meurtres sauvages : le centre du village était jonché de 5
corps sans vie et criblés de balles.
● Disparition de personnes : les villageois nous ont rapporté que certains
des leurs sont portés disparus ;
● Emprisonnement : les villageois capturés pendant les attaques et
transférés à N’Zérékoré sont gardés dans des endroits non encore
identifiés.
Au regard de tout ce qui précède, nous ONG signataires du présent rapport
condamnons avec la dernière énergie ces massacres odieux et abominables.
Nous en profitons pour inviter toutes les organisations nationales et
internationales de défense des droits de l’homme à se mobiliser pour mener
des enquêtes approfondies afin que les responsabilités soient situées et que
les auteurs, les ordonnateurs et les complices de ces crimes soient arrêtés et jugés conformément à la loi.
– Je terminerai en évoquant la mémoire de Roger Bamba qui fêtait
son anniversaire le mardi 2 août dernier. Il aurait eu ? ans. A
Christine son épouse, chère Christine, à vos enfants que tu chéris de
tout ton être, nous t’adressons nos pensées les plus émues.
– A Madame Foniké Mengué dont la lettre intitulée « Alpha Condé
veut faire de moi une jeune veuve en tuant mon mari » a étreint
d’émotion la Guinée, nous te remercions pour ton courage
exceptionnel !
– A Etienne Soropogui, qui depuis sa cellule, « nous interdit de suivre
ceux qui nourrissent une obsession maladive et une volonté
dévorante de segmentation de notre pays en des enclaves
ethniques », merci pour ta dignité remarquable !
– L’absence de Keamou Bogola Haba, dont la bonne humeur
légendaire, la profonde humanité et la vivacité d’esprit, crée un vide
immense autour nous.
A tous les autres détenus politiques, aux figures connues, moins connues, aux
anonymes, nous ne vous oublions pas.