Réunis à Accra ce dimanche suite au nouveau coup de force des militaires maliens, les pays membres de la Cédéao ont décidé de suspendre le Mali, a déclaré l’un des chefs d’Etat présent. Mais il n’y aura pas de sanctions économiques. Et pendant ce temps, Emmanuel Macron menace de retirer les militaires français si le Mali va dans le sens d’un islamisme radical.
« Après de longues discussions, les chefs d’Etats et de gouvernements ont décidé de suspendre le Mali des institutions de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao)», ont précisé dans un communiqué les dix chefs d’États présents lors du sommet de la Cédéao à Accra, ce lundi 30 mai 2021.
À Accra, le sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la Cédéao a pris des sanctions institutionnelles contre le Mali. Le pays ne pourra plus jusqu’à nouvel ordre assister aux sessions des chefs d’Etats, aux conseils des ministres ou encore aux sessions du Parlement de l’institution sous-régionale.
Lignes d’action
Le sommet avait pour but de définir les lignes d’action pour la transition. Deux choses à retenir : la première, c’est que les chefs d’Etats ont fermement condamné ce récent coupt d’Etat, qui, selon le communiqué final est une « une violation des décisions prises lors du sommet extraordinaire qui s’est tenu à Aburi, au Ghana, le 15 septembre 2020 » et une violation de la charte de la transition. D’ailleurs, Assimi Goïta, qui était dans la capitale ghanéenne, n’a pas pris part au sommet.
Deuxième chose : le Mali est suspendu de toutes les instances de la Communauté. C’est à dire que le Mali est maintenant isolé dans la Cédéao. La conférence des chefs d’Etats a demandé le respect strict du calendrier de la transition. Un Premier ministre civil va être nommé avec un gouvernement inclusif, pour poursuivre le programme de transition.
Monitoring
Il faudra au colonel Assimi Goïta beaucoup d’habileté pour nommer un Premier ministre civil accepté par tous. Un dispositif de monitoring de toute la transition sera mis en place par la Cédéao, et le Mali a jusqu’au 27 février 2022 pour organiser les élections législatives et présidentielle.
Sur ce point, le débat a été très houleux lors du huis-clos, selon une source proche de la Commission, mais la Cédéao a réitéré les sanctions intérieures, selon lesquelles le chef de la transition, le vice-président, et le Premier ministre, ne devraient être candidats aux élections.
Fixer le cap
Mais aucune sanction économique n’a été prise, et le colonel Assimi Goïta reste à son poste. Il s’agit donc d’une semi-victoire sur le plan sous-régional. Le colonel revient plutôt satisfait de son séjour à Accra. Mais très rapidement, il devra prendre la main pour fixer le cap.
Seul un vaste rassemblement de toutes les forces vives peut permettre de conjuguer les efforts pour y parvenir. Surtout quand on sait que l’administration est absente sur plus de la moitié du territoire national. Le nouveau président de la transition doit également faire face à la crise sécuritaire.
Le front social est également une autre pomme chaude .L’Union nationale des travailleurs du Mali a suspendu sa grève, mais a toujours en poche ses revendications.
Au même moment, Emmanuel Macron menace de retirer les militaires français si le Mali va dans le sens d’un islamisme radical. Dans une interview au JDD, le chef de l’État français réaffirme également son attachement au processus de transition après ce qu’il avait déjà qualifié de « coup d’État inacceptable ». Ces propos interviennent alors que les dirigeants ouest-africains se réunissent pour trancher l’épineuse question de leur réponse au second putsch des militaires maliens, menés par Assimi Goïta.
La mise en garde d’Emmanuel Macron est claire : « Je ne resterai pas aux côtés d’un pays où il n’y a plus la légitimité démocratique ni de transition », déclare-t-il dans les colonnes du Journal du Dimanche. Le président français affirme « avoir fait passer le message » à ses homologues de la région. Une manière de leur mettre la pression avant le sommet de la Cédéao prévu ce dimanche 30 mai dans l’après-midi.
Autre point fort de cette interview, la menace du retrait de la force Barkhane : « Au président malien Bah N’Daw, qui était très rigoureux sur l’étanchéité entre le pouvoir et les jihadistes, j’avais dit “l’islamisme radical au Mali avec nos soldats sur place ? Jamais de la vie !” Il y a aujourd’hui cette tentation au Mali. Mais si cela va dans ce sens, je me retirerais ». Ces propos d’Emmanuel Macron font notamment référence aux possibles futurs alliés d’Assimi Goïta dans la transition.
Les opérations extérieures, chasses gardées du président
C’est en chef des armées que le président français s’exprime là et il poursuit une tradition bien établie dans le pays. Les opérations militaires extérieures sont la chasse gardée du chef de l’État et de son gouvernement et le Parlement n’a pas son mot à dire ou presque. Seule obligation constitutionnelle depuis 2008, que les parlementaires soient consultés si une durée d’intervention excède quatre mois et cette consultation n’a lieu qu’une seule fois. Dans le cas des opérations au Mali, le Parlement n’a plus été consulté depuis avril 2013, quand la mission s’appelait encore Serval.
Ce mode de fonctionnement est critiqué du côté des législateurs : en 2018, le Sénat a proposé que les opérations militaires extérieures soient soumises à un vote du Parlement chaque année. Cette disposition est plutôt pensée pour écourter une opération qui se serait enlisée du point de vue des parlementaires, mais elle aurait aussi la possibilité d’empêcher l’exécutif de mettre fin abruptement à un engagement militaire jugé toujours stratégique par les députés et sénateurs.
Deux poids, deux mesures ?
Quant aux critiques sur le « deux poids, deux mesures » entre sa fermeté affichée au Mali et son soutien à la junte au Tchad, dirigée par le fils d’Idriss Déby, Emmanuel Macron précise : « J’ai été très clair en affirmant qu’une transition ne pouvait pas être une succession ».
Réactions à Bamako
Cette menace d’Emmanuel Macron de retirer les troupes françaises qui, rappelons-le, ont sauvé le Mali d’une déferlante jihadiste, en 2013, s’apparente à un coup de semonce aux putschistes maliens et à leur chef, Assimi Goîta.
Parmi les réactions à cet entretien du chef de l’État français figure celle de Tiéman Hubert Coulibaly, ancien ministre malien des Affaires étrangères qui dirige un regroupement de partis politiques : « Oui, je comprends bien Emmanuel Macron », dit-il avant d’ajouter que « la question est de sauver la démocratie malienne, de la remettre sur les rails et de continuer à travailler avec notre partenaire français ».
Ce point de vue est partagé par d’autres hommes politiques maliens. Le professeur Makan Moussa Sissoko, membre de l’Adéma, l’une des trois premières formations politique du pays, parle en son nom propre : « J’estime, en tant que citoyen que le risque islamiste est réel mais j’espère que la France restera à nos côtés », dit-il.
Pour un autre leader politique, Amadou Goïta, du PS, il est évident que le navire tangue. La transition doit être civile mais il ajoute : « Atttention ! Le Mali est une digue contre le terrorisme. Si cette digue saute, la France et l’Europe seront aussi en danger ».
Ajoutons encore cette autre réaction aux propose du président français, Emmanuel Macron, celle de Djiguiba Kéita, dit PPR, du Parti pour la renaissance nationale (Paréna) : « Hier comme aujourd’hui, la France n’a pas d’amis mais des intérêts. Et elle défend toujours ses intérêts. Ce qui est normal », a-t-il dit.
Avec RFI